Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/109

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Au milieu de cette scène de désordre, le général victorieux de la république était assis dans un large fauteuil recouvert en damas et surchargé de broderies dont la richesse contrastait singulièrement avec la simplicité et même la négligence de ses vêtements, quoique son œil et ses gestes indiquassent un homme qui sentait que le siège qu’avait autrefois occupé un prince n’était pas trop noble pour sa fortune et son ambition. Wildrake resta debout devant lui, et le général ne le pria point de s’asseoir.

« Pearson, » dit Cromwell en s’adressant à l’officier de service, « attendez dans la galerie, et assez près pour répondre à ma voix. » Pearson s’inclina, et allait se retirer, mais le général ajouta : « Qui est encore dans la galerie ? — Le digne M. Gordon, votre chapelain, y faisait tout à l’heure une exhortation au colonel O’Verton et à quatre capitaines du régiment de Votre Excellence. — C’est au mieux, dit le général ; nous voudrions qu’il n’y eût pas dans notre palais un seul coin où l’âme affamée ne rencontrât la manne céleste. Le digne homme avait-il un ton persuasif dans son discours ? — Il paraissait religieusement inspiré, répondit Pearson ; il traitait des droits légitimes que l’armée, et spécialement Votre Excellence, ont acquis en devenant les instruments du grand ouvrage… instruments qu’on ne doit point briser ni jeter au vent quand ils ne sont plus utiles, disait-il, mais qu’il faut conserver, estimer et regarder comme précieux, à cause de leurs honorables et fidèles travaux en combattant, en marchant, en jeûnant, en priant, et en supportant le froid et le chagrin, tandis que d’autres, qui se réjouissaient de les voir fatigués, rompus et brisés, faisaient gras dans des temps de jeûne, et buvaient des liqueurs. — Ah ! l’excellent homme ! et parlait-il avec tant d’onction ? Je pourrais dire quelque chose à cet égard… mais ce n’est pas le moment… Allez dans la galerie, Pearson ; que l’on reste sous les armes ; mais si l’on veille, il faut aussi que l’on prie. »

Pearson se retira, et le général, tenant la lettre d’Éverard à la main, demeura encore long-temps les yeux fixés sur Wildrake, comme réfléchissant au ton qu’il allait prendre avec lui.

Quand enfin il se décida à parler, ce fut pour prononcer un de ces discours ambigus dont nous avons déjà parlé, et dans lesquels il était fort difficile pour l’auditeur de le comprendre, si toutefois il savait lui-même ce qu’il voulait dire. Dans ce que nous allons en citer nous serons aussi concis que nous le permettra notre désir de rapporter les propres paroles d’un homme aussi extraordinaire.