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deur, que l’habitude lui a rendue nécessaire, et le condamner à lutter seul dans le monde contre la pauvreté et le mépris. En proie à cette sinistre perspective, son caractère, altéré par le chagrin de voir sans cesse ses espérances trompées, devint irritable et morose, et ses paroles comme ses actions exprimaient souvent l’insouciance du désespoir. Nous avons déjà vu dans des circonstances précédentes que sir Arthur avait des passions vives et violentes, autant que sous d’autres rapports il était faible de caractère. Il était peu habitué à la contradiction, et si jusqu’alors il avait paru gai et facile, c’est que probablement le cours de sa vie ne lui avait pas offert de contrariétés faites pour rendre son irritabilité habituelle.

Le matin du troisième jour après le départ de Dousterswivel, le domestique posa comme à l’ordinaire sur la table du déjeuner les journaux et les lettres que la poste avait apportés. Miss Wardour s’empara des premiers pour éviter de paraître remarquer la mauvaise humeur continuelle de son père, qui s’était mis dans une violente colère parce que les rôties étaient trop brûlées.

« Je vois ce qu’il en est, dit-il en concluant son discours sur cet important sujet : mes domestiques, après avoir partagé ma fortune, commencent à penser qu’ils ne pourront plus à l’avenir s’enrichir autant à mes dépens ; mais tant que je serai le maître de ces coquins, je ne leur passerai pas la moindre négligence ; je ne souffrirai pas qu’ils se relâchent en rien du respect que j’ai droit d’exiger d’eux.

— Je suis prêt à quitter à l’instant même le service de Votre Honneur, dit le domestique à qui cette faute était reprochée, aussitôt que vous aurez ordonné le paiement de mes gages. »

Sir Arthur tressaillit comme s’il eût été piqué du dard d’un serpent ; il mit la main dans sa poche, en tira tout l’argent qu’elle contenait, mais qui était insuffisant pour satisfaire cet homme. « Avez-vous de l’argent sur vous ? » dit- il à miss Wardour avec un calme affecté, et qui déguisait mal une violente agitation.

Miss Wardour lui donna sa bourse. Il essaya de compter les billets qu’elle contenait, mais il ne put en venir à bout. Après s’être trompé deux fois en comptant la somme, il jeta le tout à sa fille, et lui dit d’une voix sévère : « Payez ce drôle, et qu’il quitte à l’instant ma maison. » En parlant ainsi, il sortit de la salle.

La jeune maîtresse et le domestique restèrent également confondus de la violence et de l’agitation à laquelle il venait de se livrer.

« Je vous assure, madame, dit cet homme, que si j’avais cru être