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de son manteau et de sa chevelure, car la nuit était brumeuse, et elle avait traversé les plantations toutes chargées de rosée. Je n’entre dans ces détails qu’afin que vous jugiez à quel point j’ai cette nuit-là présente à ma mémoire, et ce n’est pas sans sujet. Je fus surprise de la voir, mais je n’osai pas plus parler la première que si j’eusse vu un fantôme ; non je ne l’osai pas, milord, moi qui ai vu sans trembler plus d’un spectacle d’horreur. Après un moment de silence, elle dit : « Elspeth Cheyne (car elle me donnait toujours mon nom de fille), n’êtes-vous pas la fille de ce Reginald Cheyne qui mourut pour sauver son maître, lord Glenallan, sur le champ de bataille de Sherif-Muir[1] ? » Et je répondis presque avec autant d’orgueil qu’elle-même : « Je la suis, aussi réellement que vous êtes la fille de ce comte de Glenallan, à qui mon père sauva la vie ce jour-là par sa mort. »

Ici Elspeth fit une longue pause.

« Et qu’arriva-t-il ensuite ? Continuez pour l’amour du ciel, bonne femme ; dois-je me servir de ce mot ? mais n’importe, fussiez-vous coupable, je vous ordonne de parler.

— Je me soucierais peu d’un ordre terrestre, répondit Elspeth, si cette voix qui me parle dans mon sommeil et dans mes veilles ne me forçait à raconter cette triste histoire. — Eh bien donc, milord, la comtesse me dit : « Mon fils aime Éveline Neville, ils sont d’accord, ils se sont donné leur foi ; s’ils ont un fils, je perds mes droits sur Glenallan, et je tombe alors du rang de comtesse à celui d’une misérable douairière à qui l’on fait une pension. Moi qui ai apporté à mon mari des terres, des vassaux, un sang illustre, une ancienne renommée, dois-je cesser d’être maîtresse quand mon fils aura un héritier mâle ? Je ne m’arrête point à cela : eût-il épousé toute autre qu’une de ces odieuses Neville, je l’aurais supporté avec patience ; mais eux ! que ce soient eux et leurs descendans qui jouissent des droits et des honneurs de mes ancêtres ! cette pensée entre dans mon cœur comme un poignard à deux tranchans. Et cette fille, je la déteste ! » Je lui répondis alors, car ses paroles avaient enflammé mon cœur, que ma haine était égale à la sienne.

— Misérable ! s’écria le comte en dépit de sa résolution de garder le silence, misérable femme ! quelle cause de haine pouvait t’avoir donnée un être si innocent et si doux ?

— Je haïssais ce que haïssait ma maîtresse, comme le faisaient les

  1. Lande écossaise où fut livrée la bataille du même nom, en 1715, entre les partisans des Stuarts et l’armée royale. a. m.