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Le comte s’appuya sur une des chaises de bois de la chaumière, baissa son chapeau sur ses yeux, joignit les mains l’une contre l’autre, serra les dents comme quelqu’un qui recueille tout son courage pour subir une opération douloureuse, et lui fit signe de continuer.

« Je disais donc, reprit-elle, que je dus en partie ma disgrâce auprès de ma maîtresse à miss Éveline Neville, élevée alors dans le château comme la fille d’un cousin germain, d’un intime ami de votre père qui n’était plus. Il y avait beaucoup de mystère dans son histoire ; mais qui aurait osé en demander plus que la comtesse ne voulait qu’on en sût ? Tout le monde à Glenallan aimait miss Neville ; tous, deux personnes exceptées, votre mère et moi,… car nous la haïssions toutes deux.

— Grand Dieu ! et pour quelle raison, puisqu’une créature si douce, si bonne, si bien faite pour inspirer l’affection, n’appartint jamais à ce misérable monde ?

— Cela pouvait être, répondit Elspeth, mais votre mère haïssait tout ce qui tenait à la famille de votre père, excepté lui. Ses motifs pour cela provenaient d’une mésintelligence qui était survenue peu de temps après son mariage, et dont les détails sont inutiles ici. Mais combien elle haït davantage miss Neville quand elle s’aperçut de l’affection naissante qui se formait entre vous et cette malheureuse jeune lady ! Vous pouvez vous rappeler que l’aversion de la comtesse ne s’exprima d’abord que par de la froideur… au moins on n’en voyait pas davantage ; mais elle éclata plus tard avec une telle violence, que miss Neville finit par être obligée de se réfugier au château de Knockwinnock, près de l’épouse de sir Arthur, qui (Dieu la bénisse !) était encore vivante.

— Vous me déchirez le cœur en me retraçant ces détails ; mais continuez, et puissent mes tortures actuelles être acceptées en expiation de mon crime involontaire !

— Il y avait quelques mois qu’elle était absente, continua Elspeth, quand une nuit, que j’attendais dans ma chaumière le retour de mon mari qui était allé à la pêche, et que je répandais secrètement ces larmes amères qu’arrachait à mon orgueil le souvenir de ma disgrâce, la porte s’ouvrit tout-à-coup, et la comtesse votre mère entra dans ma demeure. Je crus voir un spectre, car, même au comble de ma faveur, c’était un honneur qu’elle ne m’avait jamais fait, et elle était aussi pâle, aussi effrayante que si elle fût sortie du sein du tombeau ; elle s’assit, et secoua l’eau qui coulait