Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/323

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Sa femme, malgré son caractère masculin et impérieux, et quoique gouvernant despotiquement la famille dans les occasions ordinaires, comme elle s’en vantait à bon droit, atterrée par cette grande perte et réduite au silence et à la soumission, était forcée de dérober aux regards de son mari les explosions de sa douleur maternelle. Comme il avait repoussé toute nourriture depuis que le malheur était arrivé, n’osant pas elle-même s’approcher de lui, elle avait le matin même de ce jour, par un artifice affectueux, employé le secours de leur plus jeune enfant, du favori de la famille, pour présenter à son mari quelques alimens. Son premier mouvement avait été de le repousser avec une violence de colère qui avait effrayé le petit garçon, le second de le saisir dans ses bras et de le dévorer de baisers. « Tu seras un brave garçon si tu m’es conservé, Patie. Mais jamais, non jamais, tu ne peux être ce qu’il était pour moi. Il conduisait la barque avec moi depuis l’âge de dix ans, et il n’y avait pas son pareil pour tirer un filet, d’ici à Buchan-Ness. On dit que l’homme doit se soumettre ; eh bien, j’essaierai. »

Et depuis il avait gardé le silence jusqu’à ce qu’il fût contraint de répondre aux questions nécessaires dont nous avons parlé. Tel était l’état désespéré du père.

Dans un autre coin de la chaumière, la mère était assise, le visage couvert d’un tablier qu’elle avait jeté par dessus ses mains qu’elle tordait avec angoisse, et l’agitation convulsive de son sein, qu’elle n’avait pu cacher en le couvrant, indiquait assez la nature de sa douleur. Deux de ses commères lui débitaient à voix basse ces lieux communs rebattus sur la résignation nécessaire dans un malheur sans remède, et semblaient chercher à étourdir la douleur qu’elles ne pouvaient consoler.

Le chagrin des enfans était mêlé de l’étonnement que leur causaient les préparatifs qu’ils voyaient faire autour d’eux, et surtout de l’abondance extraordinaire de pain de froment et de vin, que le plus pauvre paysan ou pêcheur offre à ses hôtes dans ces tristes occasions ; de sorte que leurs regrets de la mort de leur frère se confondaient avec l’admiration qu’excitait la splendeur de ses funérailles.

Mais la figure de la grand’mère était la plus remarquable de ce groupe affligé. Assise sur son siège accoutumé avec son air habituel d’apathie et d’indifférence pour tout ce qui l’entourait, elle semblait de temps à autre, et comme machinalement, reprendre