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— C’est leur coutume, dit la Grand’mère, depuis le temps où le puissant comte tomba dans la terrible bataille de Harlaw, où l’on dit que le coronach[1] fut entonné depuis l’embouchure du Tay jusqu’à celle du Cabrach, et où l’on n’entendait d’autre son que celui des plaintes et des lamentations sur la mort de tant d’illustres guerriers qui étaient tombés en combattant contre Donald des Îles. Mais la mère du grand comte vivait encore. Les femmes de la maison des Glenallan ont toujours été une race dure et orgueilleuse. Elle ne voulut pas qu’on chantât le coronach pour son fils ; mais dans le silence de la nuit, elle le fit déposer au lieu de repos sans aucun chant ou hymne funèbre, et sans la cérémonie du festin. Elle dit que le jour de sa mort il avait tué assez de monde pour que les veuves et les filles de ceux qui étaient tombés sous ses coups, en chantant le coronach en l’honneur de ceux qu’elles avaient perdus, le chantassent aussi pour son fils. C’est un mot dont la famille fut glorieuse, et depuis elle tint à honneur de s’y conformer, mais surtout dans les derniers temps, parce que de nuit ils célèbrent plus librement leurs cérémonies papistes et plus secrètement que dans le jour. Au moins cela était ainsi de mon temps. Ils auraient alors été troublés pendant le jour par les autorités de Fairport. Il peut se faire maintenant, comme je l’ai entendu dire, qu’on les laisse tranquilles ; le monde est bien changé ; souvent je sais à peine moi-même si je suis assise ou debout, morte ou vivante. »

Et regardant autour du feu avec cet air vague et confus qui semblait indiquer l’incertitude dont elle se plaignait, la vieille Elspeth recommença, suivant son habitude, à tourner machinalement son fuseau.

« Bon Dieu, dit à demi-voix Jenny Rintherout à sa voisine, c’est effrayant de voir votre vieille mère quand elle se met à déclamer de la sorte : c’est comme un mort qui parlerait à des vivans.

— Vous ne vous trompez guère ; elle ne sait rien du tout de ce qui se passe autour d’elle ; mais mettez-la sur ses vieilles histoires, elle ne se fait pas prier pour parler. Elle en sait plus que bien d’autres sur cette famille Glenallan. Le père de mon homme était leur pêcheur il y a bien long-temps. Il faut que vous sachiez que les papistes tiennent beaucoup à manger du poisson ; il y a cela de bon au moins dans leur religion, quelle qu’elle soit du reste. J’étais toujours sûre de vendre le plus beau poisson, et au plus haut prix, pour la table de la comtesse, le vendredi surtout. Mais regardez

  1. Chant funèbre écossais sur le corps d’un ami décédé. a. m.