Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/149

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le awen du barde gallois, le divinus afflatus[1], qui transporte le poète hors des limites des choses sublunaires ; ses visions aussi présentent tous les symptômes du délire poétique. Il ne faut pas que j’oublie d’envoyer ce soir Caxon voir s’il a éteint sa chandelle ; les poètes et les visionnaires sont sujets à négliger ces choses-là. » Puis, se tournant vers son compagnon, il continua de lui parler ainsi, mais tout haut :

« Oui, mon cher Lovel, vous ne manquerez pas de notes, et je crois même que nous pourrons introduire tout entier dans l’appendice mon essai sur l’art des anciens campemens. Cela donnera beaucoup de valeur à l’ouvrage. Puis nous ferons revivre ces anciennes et respectables formes si honteusement abandonnées de nos temps. Vous invoquerez la Muse, et certainement elle doit être propice à un auteur qui, dans un siècle d’apostasie, reste attaché, avec la foi d’Abdiel[2], aux antiques cérémonies du culte. Ensuite il nous faut une vision dans laquelle le génie de la Calédonie apparaîtra à Galgacus[3], et fera passer devant lui toute la postérité des véritables monarques écossais ; et dans les notes je décocherai un trait à Boëce. Mais non, il ne faut pas entamer ce sujet-là, à présent que le pauvre sir Arthur est menacé de tant d’autres tourmens et de chagrins ; mais j’anéantirai Ossian, Mac Pherson et Mac Crib.

— Mais il faut réfléchir à ce que coûteront les frais d’impression, dit Lovel, voulant essayer si ce mot ne refroidirait pas un peu la chaleur du zèle qui animait son futur collaborateur.

— Les frais ! dit M. Oldbuck s’arrêtant et mettant machinalement la main à la poche ; c’est vrai : je ferais bien quelque chose… mais votre intention ne serait-elle pas de publier par souscription ?

— Non, certainement !

— Non, non, reprit vivement l’Antiquaire, ce n’est pas honorable. Mais, je vais vous dire, je connais un libraire qui fait quelque cas de mon opinion, et qui ne craindra pas de risquer son impression et son papier ; et je vous en ferai vendre autant d’exemplaires que je pourrai.

— Oh ! je ne suis pas un auteur mercenaire, répondit Lovel ; je désire seulement n’y pas mettre du mien.

  1. Æstus, chaleur (αἴθα, brûler) ; awen, de awe, crainte, terreur respectueuse ; divinus afflatus, souffle divin. a. m.
  2. Le séraphin qui refusa de suivre le parti des rebelles, comme le dit Milton dans le Paradis perdu. a. m.
  3. Galgacus, roi des anciens Bretons. a. m.