Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/144

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mentant par dessus la légende de Grizzel, a introduit dans votre rêve cette devise allemande. Quant à cette sagesse qui, à votre réveil, vous a fait saisir une circonstance si frivole comme une excuse pour persévérer dans un parti que vous ne pouvez justifier par une meilleure raison, c’est précisément un de ces tours de passe-passe que le plus éclairé parmi nous se permet quelquefois pour satisfaire son penchant aux dépens de sa raison.

— J’en conviens, dit Lovel en rougissant beaucoup ; je crois, monsieur Oldbuck, que vous avez raison, et je sens que je dois perdre dans votre estime pour avoir attaché un moment de l’importance à une telle absurdité. Mais je flottais entre des désirs et des résolutions contradictoires, et vous savez que la corde la plus légère peut diriger une barque lorsqu’elle est livrée aux vagues, tandis qu’un câble l’ébranle à peine lorsqu’elle est à sec sur le rivage.

— C’est vrai, c’est vrai, dit l’Antiquaire ; mais que parlez-vous de perdre dans mon opinion ? Il n’en est rien : je ne vous en aime que mieux, mon garçon. À présent nous avons chacun notre histoire, et je serai moins honteux en me rappelant celle de ce maudit prœtorium, quoique je n’en sois pas moins convaincu que le camp d’Agricola a dû être quelque part dans ce voisinage. Et maintenant, Lovel, mon bon ami, soyez franc avec moi : qui vous retient éloigné de Wittenberg ? Pourquoi avez-vous quitté votre pays et les devoirs de votre profession, pour une résidence oisive dans un lieu comme Fairport ? Vous aimez à courir le monde, je crains ?

— Peut-être bien, répondit Lovel se soumettant avec patience à un interrogatoire qu’il ne pouvait guère éviter. D’ailleurs je suis si isolé dans le monde, il y existe si peu d’êtres qui m’intéressent ou qui s’intéressent à moi, que cet état même d’abandon constitue mon indépendance. Celui dont la bonne ou la mauvaise destinée ne touche que lui seul, doit avoir le droit de disposer de sa personne comme il lui plaît.

— Pardonnez-moi, jeune homme, dit Oldbuck en lui posant affectueusement la main sur l’épaule, et en s’arrêtant tout-à-fait ; sufflamina[1], un peu de patience, s’il vous plaît. Je veux bien supposer que vous n’ayez pas d’amis pour partager vos succès dans le monde, et s’en réjouir ; que vous ne puissiez pas jeter un regard en arrière sur ceux à qui vous devez de la reconnaissance, et vers ceux qui auraient droit à votre appui ; en êtes-vous moins obligé

  1. De sufflaminare, enrayer, retarder. a. m.