Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/143

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Si insanorum visis fides non est habenda, cur credatur somnientium visis quæ multo etiam perturbatiora sunt, non intelligo[1].

— Oui, monsieur ; mais Cicéron nous dit aussi que celui qui passe toute la journée à lancer ses dards doit quelquefois atteindre le but, de sorte qu’au milieu du brouillard des rêves nocturnes il s’en peut présenter un en rapport avec les événemens futurs.

— Ce qui veut dire que, dans votre sage opinion, vous avez atteint le but. Mon Dieu, mon Dieu ! qu’il y a de folie dans ce monde ! N’importe, pour une fois je reconnaîtrai la science onirocritique[2] ; je prêterai foi à l’explication des rêves, et je dirai qu’un autre Daniel est apparu pour les interpréter, si vous pouvez me prouver que ce rêve que vous avez fait vous indique une ligne de conduite sage et prudente.

— Dites-moi donc, poursuivit Lovel, pourquoi, au moment où j’hésitais si j’abandonnerais ou non une entreprise commencée, peut-être avec un peu de témérité, il m’arrive de rêver la nuit dernière que je voyais votre aïeul m’indiquer du doigt une devise m’encourageant à la pousser en avant ? Comment aurais-je songé à ces mots, que je ne me rappelle pas avoir entendus auparavant, qui sont dans une langue qui m’est inconnue, et dont la traduction renferme pourtant une leçon si applicable à la circonstance où je me trouve ? »

L’Antiquaire éclata de rire. « Excusez-moi, mon jeune ami, mais c’est ainsi que nous autres pauvres mortels nous aimons à nous abuser en cherchant au dehors des motifs qui ont leur origine dans notre volonté intérieure. Je crois que je puis vous aider à trouver la source de cette vision. Vous étiez si enfoncé dans vos méditations, hier après dîner, que vous ne vous occupâtes de la conversation qui avait lieu entre sir Arthur et moi qu’au moment où elle dégénéra en une dispute sur les Pictes, qui se termina si brusquement. Mais je me rappelle que j’avais montré à sir Arthur un livre imprimé par mon aïeul, et que je lui en avais fait remarquer la devise. Votre esprit était ailleurs, mais votre oreille, machinalement frappée de mes paroles, les avait retenues, et votre active imagination, fer-

  1. Si l’on ne croit pas aux visions des fous, pourquoi ajouter foi à celles des personnes endormies, et qui sont encore bien plus intelligibles ? Voilà ce que je ne comprends pas. a. m.
  2. Du grec ὀνειρκριτικὸς, qui peut interpréter les songes ; mot composé de ὄνειρος, songe, et de κρίτα, le juge. a. m.