Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/119

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tière, ses presses, ses formes, ses grands et petits caractères eussent été brisés autour de lui. Lisez, je vous prie, sa devise ; car chaque imprimeur avait la sienne quand cet art illustre prit naissance. Celle de mon ancêtre était exprimée, comme vous le voyez, par cette phrase teutonique : Kunst Macht Gunst, c’est-à-dire que l’adresse ou la prudence à nous servir de nos avantages et de nos talens naturels, finissent par conquérir l’approbation et la faveur que les préjugés ou l’ignorance nous avaient d’abord ravies.

— Et c’est là, dit Lovel après un moment de silence rêveur, c’est là ce que signifient ces caractères germains ?

— Sans aucun doute. Vous en comprenez la juste application à un sentiment de mérite intérieur, et d’excellence dans un art utile et honorable. Tous les imprimeurs de ce temps avaient leur devise impressa, si je puis l’appeler ainsi, de même que chaque vaillant chevalier du même siècle qui fréquentait les joutes et les tournois. Mon aïeul s’enorgueillissait autant de celle-ci que s’il l’eût déployée sur un champ de bataille conquis sur l’ennemi, quoiqu’elle fût l’emblème de la diffusion des sciences et non de l’effusion du sang. Et cependant nous avons une tradition de famille qui attribue le choix qu’il en fit à une circonstance assez romanesque.

— Et quelle est cette circonstance, mon cher monsieur ? demanda le jeune homme.

— Je dois avouer que c’est une histoire qui altère un peu la réputation de prudence et de sagesse de mon respectable aïeul ; sed semel insanivimus omnes ; mais il n’y a pas d’homme qui n’ait été fou une fois dans sa vie. On dit donc que mon aïeul, pendant qu’il était en apprentissage chez un descendant de ce vieux Fust, que la tradition populaire a envoyé au diable sous le nom de Faust, s’éprit d’un petit minois de fille : c’était celle de son maître, qu’on appelait Berthe. Ils se donnèrent réciproquement leur foi, échangèrent leurs bagues, et enfin n’oublièrent aucune des fadaises ordinaires en pareilles circonstances. Bientôt après Aldobrand partit pour aller parcourir l’Allemagne, comme il convenait à un honnête artisan[1] ; car telle était la coutume d’alors, que tous ceux qui avaient un métier allassent l’exercer quelque temps dans chacune des plus grandes villes de l’Empire avant de former un établissement pour la vie. C’était une coutume très sage, car ces artisans voyageurs étaient reçus partout comme des frères par ceux de leur propre métier, et ne pouvaient manquer d’acquérir plus de savoir

  1. Hand-werker, dit Oldbuck. a. m.