Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/430

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ment détruit par la fameuse loi de M. Pitt, qui, réduisant les droits sur les marchandises, mit en état de soutenir la concurrence avec les contrebandiers. Cette loi fut appelée dans le Galloway et le comté de Dumfries, par ceux qui vivaient de ce commerce interlope : « Loi de feu et de famine. »

Assuré de trouver sur cette côte une telle assistance, Jawkins faisait des entreprises si hardies que son nom seul était la terreur des officiers de la douane. Il tirait parti de l’effroi que son nom inspirait. Une nuit qu’il se trouvait seul sur le rivage à garder une quantité considérable de marchandises, une troupe nombreuse de douaniers vint à lui. Au lieu de fuir, Jawkins marcha vers eux en criant : « Arrivez, mes enfants ; Jawkins est là. » Les hommes de la douane, saisis de frayeur, abandonnèrent une prise qui n’était défendue que par la présence d’esprit et l’intrépidité d’un seul homme. Sur mer, Jawkins n’était pas moins heureux. Une fois, il débarquait sa cargaison, près de Kirkcudbright, sur le lac Manxman, quand deux cutters de la douane, le Pigmée et le Nain, parurent en vue de deux différents côtés, l’un tournant les îles de Fleet, l’autre s’avançant entre la pointe de Rueberry et Muck-Ron. L’intrépide contrebandier leva l’ancre à l’instant même et passa entre les deux lougres, mais si près qu’il jeta son chapeau sur le premier et sa perruque sur le second, hissa un tonneau sur son grand mât pour montrer quel commerce il faisait, et s’enfuit à force de voiles sans avoir reçu le moindre dommage. Cet exemple de bonheur miraculeux et beaucoup d’autres semblables accréditèrent parmi le peuple la croyance superstitieuse que Jawkins avait fait assurer son lougre par le diable, moyennant une prime du sixième de chaque cargaison. Comment se payait cette prime ? c’est ce que chacun est libre d’imaginer. Le buckkar fut peut-être nommé le Prince noir, en l’honneur de son terrible assureur.

Le capitaine du Prince noir avait coutume de décharger sa cargaison à Luce, à Ralcarry, ou sur quelque autre point de la côte ; mais son lieu favori de débarquement était à l’entrée du Dee et de la Cree, près du vieux château de Rueberry, à six milles au dessous de Kirkcudbright. Il y a dans les environs de Rueberry une caverne d’une immense étendue, que l’habitude qu’avait Jawkins de s’y réfugier pour cacher ses relations avec les contrebandiers de la côte, a fait surnommer la Grotte de Dirk Hatteraick. On montre aux étrangers qui visitent cet endroit, l’un des plus romantiques qui se puissent voir, sous le nom de Saut du Douanier,