Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/379

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Woodbourne beaucoup plus à son goût que celui de Mac-Guffog, ne se pressa pas de se lever. L’impatience de Bertram l’aurait rendu plus matinal, mais le colonel Mannering lui avait annoncé qu’il irait le trouver le lendemain matin dans son appartement ; après s’être vêtu des hardes que Barnes lui avait fournies par ordre de son maître, il attendit donc avec anxiété la visite de son hôte.

Un petit coup frappé à la porte annonça bientôt son arrivée. Leur conversation fut longue et satisfaisante. Cependant chacun d’eux cacha quelque chose à l’autre : Mannering ne put se résoudre à parler de sa prédiction astrologique, et Bertram, pour des motifs qu’on devine aisément, garda le silence sur son amour pour Julia. Du reste, l’entretien fut franc et satisfaisant de part et d’autre ; le colonel finit même par prendre un air de cordialité. Bertram mesura exactement sa conduite sur celle de son hôte ; il paraissait plutôt accepter avec reconnaissance et plaisir l’amitié qu’on lui offrait, que la solliciter.

Miss Bertram était dans la salle où s’apprêtait le déjeuner, quand Sampson y entra d’un air radieux, circonstance si extraordinaire, que Lucy pensa d’abord qu’on lui avait fait quelque conte ridicule qui causait sa joie. Il s’assit pendant quelque temps, roulant les yeux, ouvrant la bouche, comme les figures de bois au spectacle de Merlin ; enfin il entama la conversation :

« Et que pensez-vous de lui, miss Lucy ? — De qui, monsieur Sampson ? — De Hen… ? non… non… de celui que vous savez bien. — Celui que je connais bien ? répliqua Lucy, ne comprenant rien à ce qu’il voulait dire. — Oui, de l’étranger, vous savez, qui est arrivé hier au soir dans la chaise de poste, celui qui a tiré sur le jeune Hazlewood, ha, ha, ha ! » Cet éclat de rire de Dominie ne ressemblait pas mal au hennissement d’un cheval.

« En vérité, monsieur Sampson, vous choisissez un étrange sujet de gaîté ! je ne pense rien de cet homme ; seulement j’espère que l’accident n’a pas été volontaire de sa part, et que nous n’avons pas à craindre de nouveau un semblable malheur. — Pas volontaire ! ho, ho, ha ! — Vraiment, monsieur Sampson, dit Lucy un peu piquée, vous êtes extraordinairement gai ce matin. — Oui certainement, je suis… ha, ha, ho !… fa-cé-tieux ; ho, ho, ha ! — Si facétieux, mon cher monsieur, que je préférerais connaître la cause de votre gaîté plutôt que d’en voir seulement les effets. — Vous la connaîtrez, miss Lucy. Vous souvenez-vous de votre frère. — Bon Dieu ! comment pouvez-vous me faire une pareille question ? per-