Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/348

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dans ses réflexions au sujet des prophéties qu’elle avait débitées, pour rien entendre. Hazlewood fut donc obligé de le laisser poursuivre sa route, sans pouvoir s’informer de la santé des jeunes demoiselles ou lui faire quelque autre question oiseuse qui aurait pu amener, par un heureux hasard, le nom de miss Bertram dans sa réponse. N’ayant plus aucun motif de se hâter, il laissa tomber la bride sur le cou de son cheval, et lui permit de monter aussi lentement qu’il voulut un chemin rapide et sablonneux pratiqué entre deux collines d’une hauteur extraordinaire, d’où la vue s’étendait au loin sur la campagne. Mais bien que le paysage dût avoir pour lui un attrait tout particulier, puisqu’une grande partie de ces domaines appartenait à son père et qu’il devait les posséder lui-même un jour, Hazlewood le voyait avec indifférence et tournait plutôt les yeux vers les cheminées de Woodbourne, quoiqu’à chaque pas que faisait son cheval il lui fût difficile de les apercevoir. Il fut soudain tiré de la rêverie dans laquelle il était tombé par une voix trop forte pour être celle d’une femme, mais trop criarde pour appartenir à un homme : « Pourquoi donc tarder si long-temps ? faut-il que d’autres travaillent pour vous ? »

Il porta ses regards sur la personne qui lui parlait : c’était une femme d’une taille démesurée ; elle avait la tête enveloppée d’un large mouchoir d’où s’échappaient des mèches de cheveux gris, un long manteau rouge sur le dos, et elle tenait à la main un bâton garni d’une espèce de pointe ; en un mot, c’était Meg Merrilies. Hazlewood n’avait jamais vu cette singulière figure : étonné d’une pareille apparition, il saisit la bride de son cheval et l’arrêta court. « Je pensais, continua-t-elle, que ceux qui s’intéressent à la famille d’Ellangowan ne dormiraient pas cette nuit. J’ai chargé trois hommes de vous chercher, et vous allez vous étendre dans votre lit ! Croyez-vous que si le frère souffre, la sœur ne souffrira pas aussi ?… Non, non !… — Je ne vous comprends pas, bonne femme ; si vous parlez de miss… je veux dire de quelqu’un de l’ancienne famille d’Ellangowan, dites-moi ce que je puis faire pour lui être utile ? De l’ancienne famille d’Ellangowan ! répéta Meg avec indignation ; l’ancienne famille !… Et quand s’est-elle éteinte ? Et quelle famille portera jamais le nom d’Ellangowan, qui est celui des braves Bertram ? — Mais que voulez-vous dire, bonne femme ? — Je ne suis pas une bonne femme ; tout le pays sait que je ne vaux rien : peut-être ne serai-je jamais meilleure ; mais je peux faire ce que bien des bonnes femmes ne pourraient et n’oseraient faire.