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ancêtre, Mannering répliqua qu’il n’était qu’un parent éloigné de ce preux chevalier ; mais il ajouta, qu’à son avis, le vin était parfaitement bon.

« Il est trop froid pour mon estomac, dit Dinmont en remettant sur la table le verre (qu’il avait vidé pourtant). — Nous corrigerons ce défaut, répondit le roi Paul, premier du nom ; nous n’avons pas oublié que l’air épais et humide de notre vallée de Liddel exige des boissons spiritueuses… Sénéchal, versez à notre fidèle agriculteur un verre d’eau-de-vie ; cela lui conviendra davantage. — Et maintenant, dit Mannering, puisque nous avons été si malavisés que de déranger Votre Majesté dans un de ses moments de loisir et de délassement, nous la supplions de nous dire quand elle voudra honorer d’une audience un étranger que des affaires d’importance ont amené dans votre capitale. »

Le monarque ouvrit la lettre de Mac-Morlan, et après l’avoir rapidement parcourue, il s’écria d’une voix et en faisant un geste qui n’étaient plus selon son rôle : « Lucy Bertram d’Ellangowan, pauvre chère fille ! — À l’amende, à l’amende, s’écrièrent une douzaine de voix ; Sa Majesté a oublié son royal caractère. — Non pas, non pas ! répliqua le roi ; je m’en rapporte à ce courtois chevalier. Un monarque ne peut-il aimer une fille d’un rang inférieur ? Le roi Cophetua et la fille du mendiant n’établissent-ils pas sur ce point un préjugé en ma faveur ? — Phrase d’avocat, phrase d’avocat !… Une seconde fois à l’amende, » s’écrièrent les courtisans en tumulte.

« Nos prédécesseurs, » continua le monarque en élevant la voix pour dominer les séditieuses clameurs des mécontents… ; « nos prédécesseurs n’ont-ils pas eu leurs Jeanne Logies, leurs Belsie Carmichaëls, leurs Oliphants, leurs Sandilands, leurs Weirs ? Nous refusera-t-on le droit de prononcer le nom d’une jeune fille que nous nous faisons un plaisir d’honorer. Eh bien ! périsse l’état ! périsse la royauté ! Car, comme un nouveau Charles-Quint, nous abdiquerons pour chercher, dans le repos de la vie privée, les plaisirs qu’on ne peut goûter sur le trône. »

En même temps, il jeta sa couronne, et sauta à bas de son siège élevé, plus lestement qu’on n’aurait pu l’attendre d’un homme de son âge ; il fit porter dans la pièce voisine deux flambeaux, un bassin, une serviette, avec une tasse de thé vert, et fit signe à Mannering de le suivre. En moins de deux minutes il eut lavé sa figure et ses mains, remis sa perruque devant la glace, et, à la