Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/250

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cent à parier contre un que la vieille fille aurait, dans un caprice, révoqué les dispositions faites jadis en faveur de sa nièce. Après avoir fatigué son imagination fertile, pour découvrir si cet événement ne pouvait lui présenter quelque avantage particulier, il ne trouva aucun moyen de le faire tourner à son profit. Il s’arrêta donc à l’idée de s’en étayer pour reconquérir, ou plutôt pour se créer une réputation ; car déjà, dans plusieurs circonstances, il avait senti le besoin de la considération publique, et peut-être allait-elle lui être plus nécessaire que jamais. « Je dois, dit-il, m’établir sur un bon terrain, pour que, si la tentative de Dirk Hatteraick échoue, il y ait au moins quelques préventions en ma faveur. » Rendons d’ailleurs justice à Glossin : il voyait avec une secrète satisfaction ce dédommagement que, sans qu’il lui en coûtât rien, miss Bertram allait recevoir de tout le mal qu’il avait fait à sa famille. Il résolut donc de se rendre le lendemain matin de bonne heure à Woodbourne.

Cette démarche l’embarrassait, car il éprouvait pour paraître devant le colonel Mannering cette crainte que la duplicité et la bassesse ressentent en présence de la vertu. D’un autre côté, Glossin avait grande confiance en son propre savoir-faire[1]. Son esprit était naturellement souple et fin, et la connaissance des ruses de la chicane ne formait pas toute sa science. Il avait, à différentes époques, résidé pendant long-temps en Angleterre, et s’y était débarrassé de sa rusticité campagnarde et de la pédanterie d’un légiste ; il avait le talent de la persuasion, joint à une effronterie sans pareille qu’il déguisait sous des manières simples et naturelles. Se confiant donc en lui-même, il arriva à Woodbourne vers dix heures du matin, et demanda à parler à miss Bertram.

Il ne dit son nom que lorsqu’il fut arrivé à la porte de la salle à manger : là un domestique, sur sa demande, annonça que M. Glossin désirait avoir un entretien avec miss Bertram. Lucy, se rappelant la scène qui avait abrégé les jours de son père, devint aussi pâle que la mort, et perdit presque connaissance. Julia courut à son secours, et elles sortirent ensemble. Il ne resta dans l’appartement que le colonel, Charles Hazlewood, son bras en écharpe, et Dominie Sampson, dont la figure maigre et les yeux louches devinrent singulièrement effrayants quand il aperçut M. Glossin.

Quoique un peu déconcerté d’abord par l’effet que produisait son arrivée, l’honnête gentleman reprit bientôt un ton d’assurance,

  1. Ce mot est en français dans le texte. a. m.