Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/234

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vait comment procéder à son interrogatoire. Enfin, il rompit le silence… « C’est donc vous, capitaine ? Vous n’avez pas reparu sur cette côte depuis bien des années. — Reparu ! voilà qui est étrange ! Que le diable m’enlève si j’étais jamais venu ici auparavant ! — Cela ne passera pas, monsieur le capitaine ! — Il faut que cela passe, monsieur le juge, saprédié. — Et comment vous plaît-il de vous appeler pour le moment, continua Glossin, jusqu’à ce que je fasse comparaître des gens qui vous rafraîchiront la mémoire, car ils savent qui vous êtes, ou du moins qui vous avez été ? — Qui je suis ?… mille tonnerres ! je suis Jans Jaxson de Cuxhaven… Qui voulez-vous que je sois ? »

Glossin prit dans une armoire voisine deux pistolets de poche qu’il chargea avec affectation. « Scrow, vous pouvez vous retirer, dit-il à son clerc ; que tout le monde se retire avec vous : mais demeurez dans l’antichambre, à la portée de la voix. »

Le clerc essaya de faire quelques remontrances à son patron sur le danger auquel il s’exposait en restant seul avec un homme si déterminé, bien que le prisonnier fût garrotté de façon à ne pouvoir faire aucun mouvement ; mais Glossin lui réitéra par un geste d’impatience l’ordre de sortir. Quand il eut obéi, le juge fit plusieurs fois le tour de la chambre à grands pas, plaça son fauteuil en face du prisonnier, comme pour mieux examiner sa figure, mit ses pistolets devant lui et à portée de la main ; puis, d’une voix grave : « Vous êtes Dirk Hatteraick de Flessingue. Direz-vous le contraire ? »

Le prisonnier, par un mouvement instinctif, tourna les yeux vers la porte, comme s’il eût craint que quelqu’un ne fût aux écoutes. Glossin se leva, ouvrit la porte, afin que le prisonnier, de la chaise où il était assis, pût s’assurer par lui-même que personne n’écoutait ; il la referma, vint se rasseoir, et répéta sa question : « Vous êtes Dirk Hatteraick, autrefois capitaine du Jungfraw ; ne l’êtes-vous pas ? — Mille diables ! si vous savez qui je suis, pourquoi me le demandez-vous ? répliqua le prisonnier. — Parce que je m’étonne de vous voir dans le dernier endroit où vous devriez être, si vous pensiez à votre sûreté, reprit froidement Glossin, — Diable ! il ne pense guère à la sienne, celui qui me parle ainsi. — Quoi ! vous êtes dans les fers, vous êtes désarmé, et vous parlez de la sorte, capitaine ? répondit Glossin d’un ton ironique… Mais, capitaine, les menaces ne sont pas de saison. Vous vous êtes échappé de ce pays, sans régler vos comptes au sujet d’un petit accident qui arriva à la pointe de Warroch, il y a quelques années. »