Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Âme, d’un corps de poudre, allons, prends ton essor :
Écoute le chant funéraire.

Sainte mère de Dieu, hâte-toi de quitter
Ta dépouille mortelle et que tout abandonne !
Dans tes pressants besoins les saints vont t’assister :
N’entends-tu pas le glas qui sonne ?

Va, ne crains pas la neige aux flocons abondants,
Ni la pluie et la grêle, et l’autan en furie ;
Bientôt le blanc linceul couvrira tous tes sens,
Car ils auront quitté la vie.

Hâte-toi d’exhaler un douloureux soupir !
La terre tourne vite, et le temps a des ailes.
Une dernière fois pleure avant de partir
Pour les régions éternelles.

Ici la chanteuse s’arrêta ; le moribond lui répondit par un ou deux profonds gémissements, qui semblaient annoncer son agonie et la fin de sa lutte. « Cela ne sera pas, se dit-elle à elle-même ; il ne peut partir avec cette idée dans son esprit, elle le retient encore :

Le ciel ne peut la recevoir,
La terre ne peut point l’avoir[1].
  1. Les rites mystérieux auxquels Meg Merrilies se livre lui appartiennent comme reine de sa race. Tout le monde sait que les Égyptiens dans tous les pays s’attribuent le don de prédire l’avenir ; mais il arrive souvent qu’ils sont soumis eux-mêmes aux superstitions dont ils tirent profit chez les autres. Le correspondant de Blackwood cité dans l’Introduction de ce roman nous donne quelques renseignements au sujet de leur crédulité.
    « J’ai même appris, dit-il en parlant des Égyptiens de Yetholm, qu’ils sont extrêmement superstitieux, examinant avec un soin particulier la formation des nuages, le vol de certains oiseaux et le sifflement du vent, avant d’entreprendre quelque chose. On sait qu’ils sont revenus plusieurs jours de suite sur leurs pas, avec leurs chariots chargés, leurs ânes et leurs enfants, pour avoir rencontré des personnes qui leur paraissaient de mauvais augure, et ils ne s’engagent jamais dans leurs émigrations d’été sans avoir un augure favorable pour leur retour. Ils brûlent aussi les vêtements de leurs morts, non pas tant par la crainte qu’ils leur communiquent la maladie, que par la conviction qu’ils ont qu’en les portant ils abrégeront leur vie. Ils gardent pareillement avec un grand soin les cadavres, le jour et la nuit, jusqu’au moment de l’enterrement, et ils croient que le diable a la garde du corps de ceux qui à leur lit de mort ont senti l’agonie et les terreurs du remords. »
    Ces pratiques ne sont pas particulières aux seuls Égyptiens ; elles ont été répandues dans les dernières classes de l’Écosse, mais on ne les trouve plus que parmi les gens les plus grossiers dans leurs habitudes et les plus dépourvus d’instruction. L’idée populaire que l’on prolonge la lutte entre l’agonie et la mort en laissant la porte fermée, était reçue comme une certitude par les ancêtres superstitieux des Écossais. Elle ne devait pas non plus être tout-à-fait ouverte. Laisser la porte entrebâillée était la manière adoptée par les vieilles femmes versées dans les mystères du lit de mort et de la garde des cadavres. Dans ce cas, l’âme avait de la place pour sortir, et c’était en même temps un obstacle, nous a-t-on assuré, pour empêcher d’entrer toute forme effrayante, qui autrement aurait pu s’introduire dans la chambre. Le seuil d’une habitation était en quelque sorte une limite sacrée et le sujet de nombreuses superstitions. Même aujourd’hui, on soulève la fiancée pour lui faire franchir le seuil de la maison conjugale, coutume qui vient sans doute des Romains.a. m.