Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/170

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Dumple traversa la petite rivière, et, redoublant d’ardeur, fit environ un mille au trot sur ses bords. Il se dirigea ensuite vers deux ou trois maisons couvertes de chaume, dont les angles étaient opposés, au grand mépris des règles de l’architecture. C’était la ferme de Charlies-Hope, ou, dans le langage du pays, la town. À l’approche des voyageurs, des aboiements redoublés se firent entendre : ils étaient poussés par les trois générations des Peper et des Mustard, et par quantité de leurs alliés dont les noms ne sont pas venus jusqu’à nous. Le fermier fit entendre sa forte voix, qui, bien connue, rétablit l’ordre. Une fille à demi nue, qui avait le soin de traire les chèvres, vint ouvrir la porte, mais elle la referma aussitôt pour courir dans la maison, en criant : « Mistress, mistress, c’est notre maître, et un autre homme avec lui. » Dumple, débarrassé de son double fardeau, gagna la porte de son écurie, et se mit à frapper du pied et à hennir pour entrer ; ses camarades lui répondaient de l’intérieur sur le même ton. Pendant tout ce tumulte, Brown était obligé de protéger Wasp contre les autres chiens, qui, avec une ardeur plus en rapport avec leurs noms[1] qu’avec le caractère hospitalier de leur maître, étaient très disposés à mal recevoir leur hôte.

Une minute après, un vigoureux montagnard vint introduire Dumple dans l’écurie, tandis que mistress Dinmont, femme de très bonne mine, reçut son mari avec un plaisir dont les transports n’étaient point simulés. « Eh, Dieu ! bonhomme, vous avez été bien long-temps absent[2] ! »

  1. Il faut savoir que peper signifie poivre, et mustard, moutarde. a. m.
  2. L’auteur fait ici remarquer que le caractère de Dandie Dinmont n’est pas tracé d’après un seul individu. Une douzaine, au moins, de vigoureux yeomen du Liddesdale avec lesquels il fut lié, et dont il reçut l’hospitalité pendant ses courses dans cette contrée sauvage, à une époque où elle était autrement inaccessible que ne l’indique le texte, peuvent prétendre à être le prototype de ce fermier rude, mais fidèle, hospitalier et généreux. Mais une circonstance particulière fit donner le nom de notre fermier à un respectable individu de cette classe, qui n’existe plus maintenant. M. James Davidson de Hindlee, tenancier du lord Douglas, outre cette brusque honnêteté, cette force corporelle, et cette hardiesse qu’on trouve dans le caractère de Dandie Dinmont, avait la manie de donner à une célèbre race de bassets dont il était possesseur, les noms génériques de Mustard et Peper (suivant que leur robe était de couleur jaune ou gris-noir), sans autre distinction particulière que celle qui est désignée dans le texte. M. Davidson résidait à Hindlee, ferme solitaire sur le penchant des montagnes de Teviotdale et sur les frontières de Liddesdale, territoire que les rivières et les ruisseaux arrosent en portant leurs eaux à la mer soit orientale, soit occidentale. Sa passion pour la chasse quelle qu’elle fût, mais surtout pour la chasse au renard, comme elle est décrite dans le chapitre suivant, chasse à laquelle il était l’homme le plus habile du sud des Highlands, formait un trait distinctif de son caractère.
    Lorsque le roman de Guy Mannering devint populaire, on donna généralement à M. Davidson le nom de Dandie Dinmont. Il le reçut avec bonne humeur, se contentant de dire, en désignant l’auteur par un nom qu’on lui donne dans le pays où le sien est si commun, « que le shérif n’avait pas écrit plus sur lui que sur toute autre personne, mais seulement sur ses chiens. » Une lady de haut rang et à la mode désirait posséder une couple de célèbres bassets de la race des Peper et des Mustard ; elle exprima son désir dans une lettre adressée littéralement à Dandie Dinmont ; avec cette suscription la lettre arriva à M. Davidson ; charmé de l’application, il ne manqua pas de faire droit à une demande qui faisait un si grand honneur à lui et à sa meute favorite. a. m.