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deux fois par la fenêtre qui donnait sur l’avenue, et avait dit : « Qui donc peut retarder ainsi leur voiture ? » Lucy, la plus calme de tous, se livrait à ses pensées mélancoliques : elle allait se trouver confiée à la protection, on peut même dire à la bienveillance d’un étranger en faveur duquel tout ce qu’elle avait vu, tout ce qu’elle avait appris la prévenait avantageusement, mais qu’elle ne connaissait que très imparfaitement. L’attente lui faisait donc trouver les moments longs et pénibles.

Enfin le bruit des roues et des pas des chevaux se fit entendre. Les domestiques, déjà arrivés, se réunirent pour recevoir leur maître et leur maîtresse avec un empressement et un air d’importance dont Lucy fut presque alarmée, car elle n’avait jamais vu la société et ne connaissait ni le genre ni les manières de ce qu’on appelle le grand monde. Mac-Morlan alla recevoir les voyageurs à la porte, et peu d’instants après ils entrèrent dans le salon.

Mannering qui, suivant son habitude, avait voyagé à cheval, entra donnant le bras à sa fille. Elle était d’une taille ordinaire, pour ne pas dire petite, mais très bien faite ; ses yeux étaient noirs et brillants, et des cheveux bruns d’une beauté remarquable ajoutaient à l’expression d’une physionomie à la fois vive et spirituelle, sur laquelle on pouvait apercevoir un peu de hauteur, quelque timidité, beaucoup de malice, et une certaine propension au sarcasme. « Je ne l’aimerai point, » fut la première pensée de Lucy en apercevant miss Mannering ; la seconde fut celle-ci : « Je crois pourtant que je l’aimerai. »

Julia était couverte de fourrures et d’une pelisse qui lui montait jusqu’au menton, à cause de la rigueur du froid. Le colonel était enveloppé dans une grande redingote ; il salua mistress Mac-Morlan avec politesse, et sa fille lui fit une révérence à la mode, pas assez basse pour lui causer de la gêne. Mannering conduisit alors sa fille vers miss Bertram, et prenant sa main d’un air de bonté, et presque de tendresse paternelle, « Julia, lui dit-il, voici la jeune demoiselle que nos amis ont déterminée, je l’espère, à rester auprès de nous le plus long-temps qu’elle le pourra. Je serai bien heureux si vous pouvez rendre le séjour de Woodboune aussi agréable pour miss Bertram que le fut pour moi celui d’Ellangowan, quand son père me fit l’honneur de m’y recevoir. »

Julia fit un salut à sa nouvelle amie et lui serra la main. Se tournant ensuite vers Dominie, qui depuis leur arrivée ne cessait de les saluer en alongeant la jambe et en courbant le dos, semblable à un