Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/130

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ture, à la fois comme peintre et comme poète, il me cause le plus grand plaisir lorsque je l’entends développer les causes et les effets de ces témoignages brillants de son pouvoir. Mon désir serait qu’il voulût se fixer dans cette terre enchanteresse, mais ses vues l’entraînent plus avant vers le nord, et, au moment où je vous écris, il voyage en Écosse, cherchant, je le pense, quelque terre à acheter qui puisse lui convenir pour y fixer sa résidence. D’anciens souvenirs l’attachent à ce pays. Ainsi, ma chère Mathilde, je serai encore plus éloignée de vous lorsque mon père m’aura établie dans sa nouvelle demeure. Quel plaisir j’aurai alors quand je pourrai vous dire : Venez, Mathilde, venez sous le toit de votre fidèle Julia !

« Je suis en ce moment chez de vieux amis de mon père, M. et mistress Mervyn. Cette dernière est tout-à-fait une bonne femme, moitié dame du monde, moitié ménagère ; mais pour les talents ou l’imagination, bon Dieu ! ma chère Mathilde ! votre amie pourrait aussi bien chercher de la sympathie chez mistress Teachem[1]. Vous voyez que je n’ai point oublié le sobriquet de notre maîtresse de pension. Pour l’esprit, M. Mervyn est au-dessous, bien au-dessous de mon père ; cependant il m’amuse et veut bien se prêter à mon caractère. Il a de l’embonpoint, un gros bon sens, un bon cœur, et parfois de la gaîté dans la conversation. Ayant été bien, je suppose, dans sa jeunesse, il a encore quelque prétention à être un beau garçon, non moins qu’un enthousiaste agriculteur. Je me plais à le faire grimper au sommet des collines, à le faire promener au bord des cascades, et, en revanche, j’admire ses champs de navets, sa luzerne, ses gazons et ses trèfles. Il me regarde, j’imagine, comme une jeune fille un peu simple, un peu romanesque, douée (passez-moi le mot) de quelque beauté et d’un bon naturel. Je suis portée à croire que le bon gentleman peut bien juger l’extérieur d’une femme, mais je ne lui soupçonne pas le tact nécessaire pour pénétrer ses sentiments. Ainsi, malgré la goutte qui le tourmente, il est mon cavalier ; il me raconte de vieilles histoires du grand monde, dans lequel il dit avoir long-temps vécu : je l’écoute, je souris ; je me donne l’air le plus agréable, le plus gai, le plus simple que je puis, et nous sommes très bien ensemble.

« Mais, hélas ! ma chère Mathilde, combien le temps coulerait lentement dans ce paradis, dans cette terre des romans, habité par un couple si mal assorti avec les sites qui les entourent, sans votre

  1. Madame engagez-les ; nous dirions Madame J’enseigne : nous disons aussi Madame J’ordonne. a. m.