Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/104

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duel entre nous deux. Nous nous rencontrâmes le matin derrière les remparts et l’esplanade de la forteresse où je commandais alors, sur les limites de mon territoire. Nous avions choisi ce lieu pour la sûreté de Brown, si je succombais. Je le désirais presque ; mais il tomba au premier feu. Nous courions à son secours, lorsque quelques-uns de ces looties, espèce de brigands du pays qui sont toujours aux aguets, vinrent tomber sur nous. Archer et moi nous eûmes de la peine à regagner nos chevaux, et ce ne fut qu’après un combat sanglant, dans lequel il reçut plusieurs blessures dangereuses, que nous parvînmes à nous ouvrir un chemin. Pour combler les malheurs de ce jour affreux, ma femme, qui soupçonnait dans quel dessein j’avais quitté la forteresse, m’avait suivi en palanquin. Elle fut surprise et presque faite prisonnière par une autre troupe de ces pillards. Un détachement de notre cavalerie la délivra promptement ; mais je ne puis me dissimuler que les événements de cette fatale matinée portèrent un rude coup à sa santé déjà délicate. L’aveu que fit Archer à son lit de mort, qu’il avait inventé quelques circonstances, dans son intérêt, et qu’il avait aggravé les autres, l’explication franche que j’eus avec ma femme, le pardon mutuel de nos erreurs, ne purent arrêter les progrès du mal. Elle mourut environ huit mois après cet accident, ne me laissant qu’une fille dont la bonne miss Mervyn a bien voulu se charger momentanément. Julia fut aussi attaquée d’une maladie si dangereuse que je me vis obligé de donner ma démission, et de revenir en Europe, où l’air natal, le temps, et la nouveauté des objets, ont contribué à dissiper son chagrin et à rétablir sa santé.

« Maintenant que vous connaissez mon histoire, vous ne me demanderez plus la cause de ma mélancolie, vous me laisserez m’y livrer autant que je le voudrai. Et certainement si les événements ci-dessus détaillés n’ont pas empoisonné le calice que la fortune et la renommée m’ont préparé pour mes années de repos, ils l’ont bien rempli d’amertume.

« Je pourrais ajouter d’autres circonstances que notre vieux professeur eût citées comme des exemples d’un jour de fatalité. Vous ririez si je vous faisais connaître certaines particularités, surtout sachant que je n’y ajoute aucune foi. Et cependant, depuis mon arrivée dans la maison d’où je vous écris, j’ai appris une circonstance bien singulière, qui nous servira de matière pour une discussion curieuse, si je m’assure de la véracité de ce qu’on m’a dit. Mais en voilà assez pour le présent. J’attends une personne qui doit me don-