Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/95

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Le gentilhomme à qui était adressée cette épître volumineuse, et dont nous aurons à reparler par la suite, avait pris les armes en 1715 pour les Stuart déchus, et avait été fait prisonnier à Preston, en Lancashire. Il était d’une très-ancienne famille, et n’avait qu’une fortune médiocre ; c’était un savant à la manière des Écossais, c’est-à-dire que ses connaissances étaient plus étendues que méthodiques, et qu’il était plutôt liseur que grammairien. Il avait donné, disait-on, une preuve rare de son amour pour les auteurs classiques.

Sur la route de Preston à Londres, il s’était échappé de ses gardes ; mais ayant été trouvé peu de temps après errant négligemment près du lieu où il avait logé la première nuit, il fut reconnu et arrêté de nouveau. Ses compagnons d’infortune et ses gardes même lui ayant témoigné leur étonnement de ce qu’il n’avait pas su mieux profiter de sa liberté pour se mettre promptement en lieu sûr, il leur répondit qu’il en avait eu l’intention, mais qu’il était revenu sur ses pas pour chercher son Tite-Live[1], qu’il avait oublié dans le trouble de sa fuite. Ce trait de simplicité frappa le gentilhomme qui, comme nous l’avons déjà dit, était payé par sir Éverard et peut-être quelques autres du parti pour prendre la défense de ces infortunés. Il était en outre lui-même admirateur particulier de l’historien padouan ; et quoique probablement son admiration ne l’eut pas emporté à une action aussi imprudente, même pour retrouver l’édition de Sweynheimet de Pannartz (que l’on regarde comme l’editio princeps, il n’en avait pas moins une grande estime pour le gentilhomme écossais, et il s’employa tellement à écarter et à atténuer les preuves de sa culpabilité, à découvrir un défaut de forme dans les actes du procès, etc., qu’il finit par arracher Cosme Comyne Bradwardine aux tristes conséquences d’une action portée à Westminster devant notre souverain seigneur le roi.

Le baron de Bradwardine (c’était ainsi qu’on l’appelait généralement en Écosse, quoique ses amis, d’après le nom de sa résidence, l’appelassent communément Tully-Veolan, ou simplement Tully[2])

  1. « On rapporte, dit l’auteur, qu’un infortuné jacobite montra, dans ces temps malheureux, pour Tite-Live l’amour dont le texte fait ici mention. Il s’était échappé de la prison où il était enfermé pour être jugé dans le plus bref délai, et sûrement condamné ; il fut repris errant autour de l’endroit où il avait été arrêté, dans l’espoir de retrouver son cher classique. Cette simplicité de caractère ne put lui faire pardonner sa rébellion : il fut condamné et exécuté. » a. m.
  2. Tully est un ancien nom écossais qui s’affixe à un autre nom, comme ben, qui s’applique à une hauteur. Tous les lieux d’Écosse dont le nom commence par l’affixe tully sont dans les plaines et dans les rivières. Il en est de même de drum, qui indique un petit mamelon. a. m.