Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/79

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vînt à produire chez lui, comme les autres fortes passions, une sorte de satiété.

Avant d’arriver toutefois à ce degré d’indifférence, il avait, profitant de sa prodigieuse mémoire, lu et retenu une multitude de choses curieuses, quoique mal classées dans son esprit. Dans la littérature anglaise, il possédait Shakspeare et Milton, nos anciens auteurs dramatiques, beaucoup de passages pittoresques et intéressants de nos vieilles chroniques ; il connaissait surtout Spenser, Drayton et d’autres poètes qui avaient créé de romanesques histoires, ouvrages les plus séduisants de tous pour une jeune imagination, avant que les passions s’éveillent et demandent à la poésie des peintures plus énergiques et plus profondes. Sous ce rapport la langue italienne, avec laquelle il s’était familiarisé, lui ouvrit un champ plus vaste. Il avait parcouru la foule des poèmes romantiques qui, depuis Pulci, ont été l’exercice favori des beaux-esprits de l’Italie ; il avait dévoré ces nombreux recueils de nouvelles qu’à l’imitation du Décaméron avait produits le génie de cette élégante et voluptueuse contrée. En littérature classique, Waverley avait acquis l’instruction ordinaire et lu les auteurs accoutumés ; la France lui avait fourni une immense collection de mémoires, presque aussi faux que des romans, et de romans si bien écrits qu’on pourrait les prendre pour des mémoires. Les pages brillantes de Froissard, avec ses descriptions animées et éblouissantes de batailles, de tournois, étaient ses lectures favorites ; et dans Brantôme et de La Noue il apprit à comparer le caractère farouche et licencieux, quoique superstitieux, des nobles de la Ligue, avec le caractère âpre, austère et quelquefois turbulent du parti huguenot. L’Espagne avait encore accru sa provision de romans chevaleresques. La littérature primitive des nations du Nord n’échappa point aux avides investigations d’un jeune homme qui cherchait plutôt à exalter son imagination qu’à mûrir sa raison. Mais toutefois, quoique Édouard Waverley sût beaucoup de choses qui ne sont connues que d’un très-petit nombre, on pouvait le regarder avec justice comme un ignorant, puisqu’il ne savait presque rien de ce qui ajoute à la dignité de l’homme et le met à même d’orner et de consolider une position sociale.

Ses parents eussent pu, avec un peu d’attention, prévenir les inconvénients d’une lecture si vague et si désordonnée. Mais sa mère mourut sept ans après le rapprochement des deux frères ;