Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/66

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agréable que celles qu’offrent les caquetages de la femme de chambre de l’héroïne, répétant les histoires horribles et sanglantes qu’elle a ouïes dans l’antichambre ? Si j’avais nommé mon ouvrage Waverley, roman traduit de l’allemand, quel eût été l’esprit assez étroit pour ne pas se représenter un abbé dissolu, un duc oppresseur, une association secrète et mystérieuse de Rose-Croix ou d’illuminés, avec tout leur attirail de capuchons noirs, de cavernes, de poignards, de machines électriques, de trappes et de lanternes sourdes ? ou si j’avais mis Histoire sentimentale, cela n’aurait-il pas suffi pour annoncer une héroïne avec de longs cheveux châtains, et une harpe, douce consolation de ses heures solitaires, qu’elle trouve toujours par un heureux hasard le moyen de transporter du château à la chaumière, bien que parfois il lui faille sauter par la fenêtre d’un deuxième étage, et qu’elle se trouve souvent égarée dans sa route seule et à pied, sans autre guide que quelque jeune villageoise bien joufflue, dont elle a peine à comprendre le jargon ? Si j’avais intitulé mon livre Histoire du temps, ne m’aurais-tu pas, ami lecteur, demandé une esquisse hardie du monde fashionable, quelques anecdotes scandaleuses de la vie privée, légèrement voilées ou plutôt même sans aucune gaze, une héroïne de Grosvenor-square[1] et un héros du club des Barouches, ou des Four-in-hand[2], avec une bande de personnages subalternes pris dans les élégants de Queen-Anne-street-east[3], ou parmi les héros pimpants de Bow-street-office[4] ? Je pourrais m’étendre pour prouver l’importance d’un titre, et montrer en même temps que je connais parfaitement tous les ingrédients nécessaires à la composition des romans ou nouvelles de divers genres ; mais en voilà assez, je ne veux pas fatiguer plus long-temps mon lecteur, déjà sans doute impatient de connaître le choix fait par un auteur si profondément versé dans toutes les branches de son art.

En fixant sur le titre l’époque de mon histoire soixante ans avant celle où je l’écris (1er novembre 1805), j’annonce à mes lecteurs qu’ils n’y trouveront ni un roman de chevalerie, ni un conte sur les mœurs d’aujourd’hui ; que mon héros ne sera point

  1. Belle place de Londres habitée par les riches.
  2. Le club des Four-in-hand est composé de jeunes gens riches qui s’amusent à conduire eux-mêmes leurs voitures attelées de quatre chevaux, en imitant les manières, le langage et le costume des cochers des voitures publiques. a. m.
  3. Rue de Londres autrefois renommée pour ses prostituées d’un rang élevé. a. m.
  4. Rue de Londres où se trouvent les bureaux de police. a. m.