Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/394

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comme une faveur qui lui serait personnelle, de ne pas insister pour le moment sur une demande si raisonnable et si juste. Après cela, fiez-vous aux princes ! » — « Et votre audience s’est-elle terminée là ? » — « Terminée là ? oh ! non. J’étais résolu à ne pas lui laisser de prétexte pour son ingratitude. Je lui exposai donc, avec tout le sang-froid qu’il me fut possible, car je vous assure que je tremblais de colère, les raisons particulières qui me faisaient souhaiter que Son Altesse Royale choisît un autre moyen d’éprouver mon dévouement et mon sincère désir de lui plaire, attendu que des projets d’où dépendaient le bonheur et la fortune de ma vie me faisaient considérer comme le plus pénible de tous les sacrifices ce qui en un autre cas n’eût été qu’une bien légère privation. Je lui découvris sans réserve tous mes plans. » — « Et que répondit le prince ? » — « Ce qu’il répondit ? Mais… heureusement qu’il est écrit : Ne maudissez pas le roi, pas même dans votre pensée ! Mais il m’a répondu qu’il était charmé que je lui eusse fait ma confidence ; qu’il pouvait, grâce à cela, m’éviter un désappointement plus pénible, car il pouvait me garantir sur sa parole de prince que les affections de miss Bradwardine étaient engagées, et qu’il avait promis très-formellement de favoriser le choix qu’elle avait fait. « Ainsi, mon cher Fergus, dit-il avec le sourire le plus gracieux, comme il ne peut plus être question de mariage, il est inutile de nous occuper de ce titre de comte ; » et puis il a fait la pirouette, et m’a planté là. » — « Et que fîtes-vous ? » — « Dans ce moment-là, il n’est rien que je n’eusse fait ; je me serais vendu au diable ou à l’électeur, à celui enfin qui m’eut offert la plus terrible vengeance. Maintenant je suis de sang-froid ; je vois qu’il compte la marier à quelqu’un de ses misérables Français ou de ses officiers irlandais ; mais je le surveillerai de près : que celui qui prétend me supplanter prenne bien garde à lui : Bisogna coprirsi, signor[1]. »

Après quelques autres propos qu’il est inutile de rapporter, Waverley prit congé du chef, dont la colère aveugle s’était changée en un profond et irrésistible désir de vengeance ; il retourna chez lui, incapable d’analyser les sentiments confus que ce récit avait éveillés dans son propre cœur.

  1. Il faut se couvrir, se cacher, monsieur. a. m.