Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/329

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arrivait, mistriss Flockhart, je sais bien qui ne survivrait pas pour le pleurer. Mais nous sommes encore tous vivants aujourd’hui, et il nous faut à dîner ; voilà Vich-Jan-Vohr qui rentre, et M. Waverley est las de s’examiner depuis si long-temps dans la glace ; ce vieux rustre à tête grise, le baron de Bradwardine, qui a tué le jeune Renald de Ballenkeiroch, va aussi venir avec ce gros bailli, cet effronté flatteur qu’on appelle Mac Weeble et qui ressemble au cuisinier français de laird de Kittlegab ; plus, son cher tournebroche qui le suit partout ; enfin, moi aussi je suis affamé comme un milan, ma bonne veuve. Dites donc à Kate de tremper la soupe, et mettez votre cornette ; n’oubliez pas surtout que Vich-Jan-Vohr ne voudra jamais s’asseoir avant de vous voir à la tête de la table ; et n’oubliez pas la bouteille à l’eau-de-vie, madame. »

Cette admonition hâta le dîner. Mistriss Flockhart, souriant sous son costume de deuils comme le soleil à travers un brouillard, se mit à la place d’honneur, ne s’inquiétant guère peut-être du temps que durerait une insurrection qui lui procurait une compagnie si au-dessus de sa société ordinaire. Elle avait à ses côtés Waverley et le baron, et le chef pour vis-à-vis. Les hommes de paix et de guerre, c’est-à-dire le bailli Mac Wheeble et l’enseigne Maccombich, après plusieurs salutations profondes à leurs supérieurs et beaucoup de civilités l’un envers l’autre, se placèrent à droite et à gauche du colonel. La chère était excellente, vu le temps, le lieu et la circonstance, et Fergus était d’une gaieté extraordinaire. Méprisant le péril, présomptueux par caractère, jeune et ambitieux, il voyait en imagination toutes ses espérances couronnées de succès, et ne songeait guère à la tombe presque toujours ouverte pour le soldat. Le baron s’excusa quelque peu d’avoir amené Mac Wheeble. Ils s’étaient occupés, disait-il, des dépenses de la campagne : « Et ma foi ! continua le vieux militaire, puisque c’est ma dernière, sans doute, je veux finir comme j’ai commencé, sans un sou. J’ai toujours trouvé qu’il était plus difficile de se procurer les nerfs de la guerre, ainsi qu’un savant auteur appelle la caisse militaire, que sa chair, son sang et ses os. »

« Quoi ! dit Fergus, vous avez levé le seul corps de cavalerie qui nous soit utile, et n’avez pas eu un seul des louis d’or du Doutelle, pour vous aider[1] ? » — « Non, Glennaquoich ; des drôles plus habiles ont passé avant moi. »

  1. Le Doutelle était un vaisseau de guerre qui apporta de France de l’argent et des armes aux insurgés. a. m.