Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/257

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Quand les fils d’Albion désertèrent la lutte,
Alors tu vins chercher aux montagnes d’Albin
Une race sauvage, heureuse sous la hutte,
Que battit, sans la vaincre, un despote inhumain.

D’un parent, d’un ami, la mort n’eut point les larmes ;
L’airain ne sonna point ton dernier requiem ;
Le pibroch[1] unissant les montagnards en armes
Fut ton hymne funèbre et devint ton salem.

Mais qui voudrait changer la course éblouissante,
Bien qu’obscurcie avant d’arriver au zénith.
Contre une longue vie ou végète l’esprit,
Surchargé des faveurs que le hasard présente ?

C’est à toi qu’appartient l’arbre dont les rameaux
Bravent l’été brûlant et l’hiver et l’orage ;
Rome de chêne a ceint le front de ses héros :
Il faut que de Wogan la tombe s’en ombrage.


Quel que fût le mérite réel des vers de Flora Mac-Ivor, l’enthousiasme qu’ils respiraient était bien fait pour en inspirer un semblable à son amant. Ces lignes furent lues et relues, puis placées sur le cœur de Waverley, qui les en retira bientôt pour les relire encore, vers par vers, d’une voix lente et émue, et avec les pauses fréquentes, qui prolongeaient son ravissement de même qu’un épicurien savoure lentement et goutte à goutte la jouissance que lui procure un breuvage délicieux. L’arrivée de mistriss Cruickshanks avec le vin et les autres articles tout à fait terrestres qui devaient servir à son dîner, n’interrompit qu’à moitié ces transports d’un enthousiasme passionné.

À la fin du repas, Ebenezer vint présenter sa taille haute et gauche, et son disgracieux visage. La partie supérieure de son corps, quoique la saison ne demandât pas une telle précaution, était enveloppée d’une grande redingote qui couvrait ses habits ordinaires et était attachée par une ceinture. Elle était surmontée d’un grand capuchon de même étoffe qui avançait sur la tête et le chapeau, les couvrait entièrement tous deux, et s’attachait sous le menton. Ceci s’appelait un trot-cozy. Sa main tenait un énorme fouet de postillon avec une monture de cuir ; ses maigres jambes étaient revêtues d’une paire de guêtres attachées sur le côté avec des agrafes rouillées. Ainsi accoutré, il entra majestueusement dans l’appartement, annonçant sa mission d’un ton bref : « Les

  1. Nous avons dit ailleurs que le pibroch est le chant de guerre des montagnards écossais, adapté à la cornemuse. Quant au mot salem, on sait qu’il signifie salut et paix dans les langues orientales. Jérusalem elle-même veut dire vision de la paix. a. m.