Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/199

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doit plus tirer, un barde pour chanter des actions qu’il n’ose plus imiter, et une large bourse de peau de chèvre, quand il n’a pas un louis d’or à y mettre. » — « Eh bien, mon frère ! puisque vous trahissez mes secrets, ne vous attendez point à ce que je garde les vôtres. Je vous assure, capitaine Waverley, que Fergus est trop fier pour changer sa claymore contre un bâton de maréchal ; qu’à ses yeux Mac Murrough est préférable à Homère, et qu’il ne donnerait pas sa bourse de peau de chèvre pour tous les louis d’or qu’elle peut contenir. » — « Très-bien, Flora ; coup pour coup, comme Conan disait au diable[1]. Maintenant parlez l’un et l’autre de bardes et de poésie, non de bourses et de claymores ; quant à moi, je retourne au banquet pour en faire les derniers honneurs aux sénateurs de la tribu d’Ivor. » En disant ces mots, il se retira.

La conversation continua entre Flora et Waverley ; car deux jeunes femmes, élégamment vêtues, et qui semblaient être à la fois les compagnes et les suivantes de notre héroïne, n’y prenaient aucune part. Elles étaient jolies l’une et l’autre ; mais leur présence relevait encore la grâce et la beauté de leur maîtresse. L’entretien suivit le cours que lui avait donné Fergus ; et ce que Miss Mac-Ivor raconta de la poésie celtique amusa Waverley et le surprit également.

« Le récit de ces poésies, dit-elle, qui célèbrent les hauts faits des héros, les plaintes des amants, et les combats des tribus ennemies, forme le principal amusement de l’hiver dans les chaumières des Highlands. Quelques-uns de ces poèmes sont, dit-on, fort anciens, et s’ils sont jamais traduits dans une des langues des nations civilisées de l’Europe, ils produiront certainement une sensation profonde et générale. D’autres sont plus modernes ; ils ont été composés par ces bardes que les chieftains les

  1. Dans les ballades irlandaises qui ont rapport à Fion (le Fingal de Macpherson) il se rencontre, ainsi que dans la poésie primitive de presque toutes les nations, une foule de héros dont chacun a son attribut distinctif. D’après ces qualités et les aventures de ceux qui les possédaient, on a établi plusieurs proverbes qui sont encore bien connus dans les Highlands. Entre autres on distingue en quelque sorte Conan comme une espèce de Thersite, mais brave et audacieux jusqu’à la témérité ; il avait fait vœu de ne jamais recevoir un coup sans le rendre ; et ayant, comme beaucoup d’autres héros de l’antiquité, fait une descente dans les régions infernales, il reçut un soufflet de l’architecte qui y présidait ; il le rendit aussitôt en se servant de l’expression du texte. Parfois le proverbe est cité ainsi qu’il suit : « Griffe pour griffe et que le diable prenne les ongles plus court, comme Conan le dit au diable. »
    Note de l’auteur. a. m.