Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/190

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de choisir, la boisson qui leur était assignée par économie[1]. Des joueurs de cornemuse, au nombre de trois, firent entendre, pendant tout le temps que dura le dîner, un chant de guerre épouvantable ; l’écho des voûtes de l’édifice et les sons de la langue celtique produisaient un bruit tellement confus, que Waverley craignit de perdre à jamais le sens de l’ouïe. Ce fut au point que Mac-Ivor s’excusa de la confusion occasionnée par une si nombreuse compagnie, et lui démontra la nécessité de sa situation qui lui imposait comme un devoir une hospitalité illimitée. « Ceux de mes parents que vous apercevez, dit-il, gens robustes, mais paresseux, regardent mes possessions comme un dépôt à moi confié pour soutenir leur fainéantise ; il faut que je leur trouve du bœuf et de l’ale, tandis que les coquins ne font rien autre chose que de s’exercer à l’épée, parcourir les montagnes, chasser, pêcher, boire et courtiser les filles du Strath. Mais que puis-je faire, capitaine Waverley ? Tout être dans la nature tient à sa famille, que ce soit un faucon ou un Highlandais. » Édouard lui fit la réponse attendue, en le complimentant sur le grand nombre de ses vassaux, sur leur courage, et sur l’attachement qu’ils portaient à leur chef.

« Oui, sans doute, répondit Fergus, et si j’étais disposé comme mon père à courir les risques de recevoir un coup sur la tête ou deux sur le cou, je crois que les drôles ne m’abandonneraient pas. Mais qui pourrait songer à de telles choses aujourd’hui que la maxime est : Préférez une vieille femme avec une bourse dans

  1. En réunissant des personnes de tout rang à la même table, quoiqu’ils ne mangeassent pas les mêmes mets, les chefs highlandais se conformaient à une coutume qui avait été autrefois observée universellement dans l’Écosse. Un voyageur, nommé Fynes Morisan, voyageant dans les Lowlands d’Écosse, vers la fin du règne d’Élisabeth, s’exprime ainsi : « Je me trouvai dans la maison d’un chevalier qui avait plusieurs domestiques pour le servir ; ils apportèrent les mets après s’être couvert la tête d’espèces de bonnets bleus ; la table était plus d’à moitié garnie de vastes plats de soupe, contenant chacun un morceau de viande bouillie ; et lorsque le dîner eût été servi, les domestiques s’assirent avec nous ; mais sur le haut de la table on remarquait, au lieu de la soupe, un poulet et quelques pruneaux dans du bouillon. »
    Jusque dans le dernier siècle, les fermiers d’une condition respectable dînaient avec leurs hommes de peine. La ligne de démarcation entre les diverses classes était marquée par la salière, ou quelquefois par une raie à la craie sur la table. Lord Lovat, qui savait comment flatter la vanité et contenir l’appétit de ses vassaux, permettait à tout robuste montagnard qui avait la plus petite prétention à être un duinhé-wassel l’honneur insigne de s’asseoir à sa table ; mais en même temps il avait soin que ses jeunes parents ne prissent aucun goût pour les friandises étrangères. Sa seigneurie était toujours prête à présenter quelque excuse favorable pour que les vins et les eaux-de-vie de France, qu’ils supposaient propres à diminuer les habitudes guerrières de ses cousins, ne circulassent point sur la table au-delà d’un point déterminé.a. m.