Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/19

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critique. Le manuscrit original, ou, d’après le mot technique, la copie, fut transcrite sous les yeux de M. Ballantyne par des personnes de confiance ; et quoique, pendant plusieurs années, on ait eu recours à ces précautions, et que, par intervalles, différents individus aient été employés, je ne pourrais citer un seul exemple de trahison. On imprimait régulièrement de doubles épreuves. L’une était envoyée à l’auteur par M. Ballantyne ; et les changements qu’elle recevait de ma propre main étaient copiés sur l’autre épreuve pour l’usage des imprimeurs ; de sorte que les feuilles par moi corrigées ne paraissaient jamais à l’imprimerie ; il résultait de là que je mettais en défaut la curiosité des inquisiteurs empressés qui se livraient aux investigations les plus minutieuses.

La raison qui me portait à cacher mon nom quand le succès de Waverley était douteux parut assez naturelle ; mais bien des personnes ne pouvaient que difficilement se rendre compte du motif qui me portait à garder l’anonyme lorsque la destinée de l’ouvrage eut été assurée par les éditions postérieures qui se succédaient avec rapidité, au point que onze à douze mille exemplaires avaient été lancés dans le public. Je suis fâché de ne pouvoir satisfaire que faiblement aux questions qui pourraient m’être adressées à ce sujet. J’ai déjà dit ailleurs que je ne puis guère expliquer le motif qui me fit persister à garder l’anonyme, qu’en disant avec Shylock[1], que telle était mon humeur. Je ferai observer que je n’étais point excité par le stimulant ordinaire qui nous porte à désirer une réputation personnelle, et à faire le sujet des conversations de nos semblables. J’avais déjà autant de réputation littéraire, méritée ou non méritée, qu’il en fallait pour contenter un esprit plus ambitieux que le mien ; et en cherchant à augmenter celle que je possédais, je courais plutôt le risque de la mettre en danger que je n’avais la plus petite chance de l’accroître. Je n’étais non plus excité par aucun de ces motifs qui, à une époque moins avancée de la vie, auraient opéré sur mon esprit. Mes relations d’amitié étaient formées, ma place dans la société était fixée, ma vie avait parcouru la moitié de son cours. Ma condition dans la société était plus élevée que je ne le méritais, et certainement aussi belle que je pouvais le désirer, et des succès littéraires, quelle que fût leur importance, auraient difficilement changé ou amélioré ma condition personnelle.

  1. Personnage d’une des tragédies de Shakspeare. a. m.