Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/125

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pour la première fois de la quinzaine ; elle entretenait le feu de tourbe que demandait l’humidité de sa cahute, même au fort de l’été ; elle avait nettoyé sa table de bois de sapin, et l’avait mise d’à-plomb au moyen d’un morceau de tourbe placé sous un des pieds ; elle avait accommodé le mieux possible cinq ou six tabourets de forme grossière aux inégalités de son plancher de terre ; elle avait de plus mis son bonnet blanc, son mantelet et son plaid écarlate, et attendait gravement l’arrivée de la société, avec espoir d’honneur et de profit. Quand les hôtes de la mère Macleary furent assis sous les soliveaux enfumés de son unique appartement, tapissé d’épaisses toiles d’araignées, d’après les ordres du laird de Balmawhapple, elle parut avec un énorme pot d’étain, contenant au moins trois quarts de mesure anglaise, appelé familièrement une poule huppée, et qui, dans le langage de l’hôtesse, en avait par-dessus les bords d’un excellent vin de Bordeaux que l’on venait de tirer à la barique. Il était aisé de prévoir que le peu de raison qu’avait épargné l’ours serait bientôt enlevé par la poule. La confusion qui s’établit aussitôt permit à Édouard de suivre la résolution qu’il avait prise de ne pas boire à la coupe joyeuse qui circulait autour de la table. Les autres commençaient à parler tous ensemble, et avec une langue épaisse ; chacun d’eux ne songeait qu’à ce qu’il disait, et ne prenait pas garde à la conversation de son voisin.

Le baron de Bradwardine chantait des chansons à boire françaises, et citait du latin ; Killancureit parlait, avec un imperturbable sang-froid, d’engrais de terres, de moutons d’un ou deux ans, de jeunes bœufs et d’actes du parlement pour autoriser des chemins, tandis que Balmawhapple, d’une voix plus haute, vantait son cheval, ses faucons et son lévrier Whistler. Au milieu de ce bruit, le baron demanda plusieurs fois le silence ; et quand enfin la politesse se fit assez entendre pour qu’il l’obtînt, il se hâta de réclamer l’attention pour une ariette militaire, chanson favorite du maréchal duc de Berwick ; et imitant, autant qu’il le pouvait, les manières et l’accent d’un mousquetaire français, il commença aussitôt :


« Mon cœur volage, dit-elle,
N’est pas pour vous, garçon ;
Mais pour un homme de guerre
Qui a barbe au menton,
Lon, lon, laridon ;