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lement à réprimer mon goût bien prononcé pour la lecture ; c’était en effet mon seul amusement. Aussi abusai-je de cette faculté qui m’était laissée de disposer de mes instants comme bon me semblait.

Il y avait alors à Édimbourg un salon de lecture, qui fut fondé, je crois, par le célèbre Allam Ramsay[1]. Cet établissement contenait une collection très-précieuse de livres de toute nature, et, comme on peut le penser, il était riche surtout en ouvrages de fiction. On y voyait des productions de toute espèce ; les romans de chevalerie et les lourds in-folio de Cyrus et de Cassandre s’y trouvaient placés auprès des compositions les plus estimées des temps modernes. J’étais plongé, si j’ose m’exprimer ainsi, au milieu de ce grand océan de lecture, sans compas ni pilote ; et, à moins que quelque personne n’eût la charité de jouer aux échecs avec moi, je ne pouvais faire autre chose que lire du matin au soir. Par un sentiment de douceur et de compassion, erroné peut-être, quoique bien naturel, j’avais la faculté de choisir mes sujets d’étude ainsi qu’il me plaisait ; on se fondait à mon égard sur ce principe qu’on doit tolérer les humeurs des enfants pour les préserver du mal. Comme on ne satisfaisait mon goût et mes désirs en rien autre chose, je me dédommageais en dévorant des livres. En effet, je crois que je lus presque tous les romans, toutes les vieilles pièces de théâtre, tous les poèmes épiques de cette formidable collection ; j’amassais donc ainsi, bien certainement sans le savoir, des matériaux pour la tâche à laquelle je devais consacrer une si grande partie de ma vie.

Cependant, à cette époque, je n’abusais pas entièrement de la licence qui m’était accordée. La connaissance intime que j’acquis des miracles spécieux de la fiction amena enfin avec elle un peu de satiété, et je commençai insensiblement à chercher dans les histoires, les mémoires, les voyages et les divers ouvrages de cette nature, des événements à peu près aussi étonnants que ceux qui étaient l’ouvrage de l’imagination, avec cet avantage sur les romans qu’ils étaient au moins vrais en grande partie. À l’expiration des deux années pendant lesquelles on m’abandonna ainsi le libre exercice de ma propre volonté, j’allai faire une résidence temporaire à la campagne ; là, j’aurais été encore très-solitaire, si ce n’eût été l’amusement que me procura une bonne quoique

  1. Poète du XVIIe siècle, auteur d’une pastorale intitulée : le Gentil Berger (the Gentle Shepherd). a. m.