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avoir rendu les autres tels, pendant les heures qui devaient être consacrées à la préparation de nos devoirs. Mon plus grand plaisir, dans mes jours de congé, était de m’échapper avec un ami de mon choix dont les goûts sympathisaient avec les miens. Nous nous racontions alternativement alors toutes les aventures extravagantes qu’il nous était possible d’imaginer ; nous répétions, chacun à notre tour, des histoires interminables de chevalerie, de batailles, d’enchantements, qui se continuaient d’un jour à un autre, selon que l’occasion se présentait, sans que nous songeassions à les amener à fin. Comme nous observions le secret le plus rigoureux au sujet de ces communications réciproques, elles acquéraient tout le caractère d’un plaisir caché. Nous avions coutume de nous livrer à nos plaisirs favoris pendant les longues promenades que nous faisions au milieu des environs solitaires et romantiques d’Arthur’s-seat, de Salisbury-crags, de Braid-hills[1], et des autres lieux semblables qui se trouvent dans le voisinage d’Édimbourg.

Le souvenir de ces jours de fête forme encore une Oasis dans le pèlerinage qui sera l’objet de mes investigations. J’ajouterai seulement que mon ami vit encore ; c’est un galant homme dont les affaires ont prospéré, mais trop occupé de plus graves intérêts pour me remercier, si je le désignais ici autrement que comme un confident de mes mystères enfantins.

Lorsque la jeunesse, succédant à l’enfance, exigea des études plus sérieuses, des soins plus assidus, une longue maladie me rejeta, comme par une espèce de fatalité, dans le royaume des fictions. Un vaisseau rompu causa, en partie du moins, mon incommodité ; le mouvement et la parole me furent long-temps interdits comme très-dangereux. Je fus strictement retenu au lit quelques semaines, et durant ce temps il me fut à peine permis de parler à voix basse ; on me défendait de manger plus d’une ou deux cuillerées de riz bouilli, et d’avoir d’autre couverture qu’une légère courte-pointe. Quand le lecteur saura que j’étais alors dans l’âge de la croissance, que j’avais toute l’ardeur, tout l’appétit, toute l’impatience d’un jeune homme de quinze ans, et que je souffrais, en conséquence, beaucoup de ce régime sévère que le retour répété de mon indisposition rendait indispensable, le lecteur ne sera pas surpris d’apprendre qu’on ne chercha nul-

  1. Arthur’s-seat, château d’Arthur ; Salisbury-crags, rochers de Salisbury ; Braid-hills, les montagnes de Bread, près d’Édimbourg. a. m.