Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/102

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cevra facilement que les officiers d’un régiment commandé par un chef si respectable, devaient composer une société plus paisible et plus régulière que cela n’a lieu ordinairement dans un corps militaire, et que Waverley ne fut point exposé à des tentations qu’il eût trouvées dans un autre régiment.

En cette situation, il s’occupa très-activement de son éducation militaire ; depuis long-temps bon cavalier, il se livra à l’art du manège, dont la perfection réalise presque la fable du Centaure, les mouvements du cheval paraissant venir plutôt de la volonté de son guide que de l’usage d’une impulsion extérieure et apparente. On l’instruisit aussi de son métier d’officier ; mais je dois avouer que, sa première ardeur passée, les progrès furent moins prompts qu’il ne l’avait désiré et espéré. Le métier d’un officier, lequel affranchit des devoirs les plus difficiles aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas, parce qu’il est accompagné d’un appareil imposant, n’est au fond qu’une routine sèche et abstraite, reposant principalement sur des calculs d’arithmétique astreints à beaucoup d’attention et exigeant une tête froide pour exécuter. Notre héros était sujet à des distractions, à des étourderies qui lui attiraient les rires de ses égaux et les reproches de ses supérieurs : il sentit avec peine son infériorité pour les qualités qui, dans sa nouvelle profession, semblaient le plus dignes d’éloge. Il se demandait en vain pourquoi son œil ne mesurait pas les distances aussi bien que l’œil de ses camarades ; pourquoi il ne réussissait pas comme eux à faire exécuter les différents mouvements nécessaires à une manœuvre ; et pourquoi sa mémoire, si heureuse en

    voir un rayon extraordinaire de clarté tomber sur l’ouvrage qu’il tenait ; il pensa d’abord que cela venait de sa lumière ; mais en levant les yeux, il vit avec une surprise extrême, devant lui, comme suspendue dans l’air, l’image de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la croix, entouré d’une auréole, et il entendit une voix, ou quelque chose de semblable à une voix, qui lui dit, ou à peu près (car il n’était pas sûr des mots) : « Pêcheur, voilà comme tu es reconnaissant de ce que j’ai souffert pour toi ! » Il fut si vivement frappé de ce phénomène extraordinaire, qu’il tomba aussitôt dans son fauteuil à bras, où il resta long-temps sans connaissance et sans mouvement.
    « Cette apparition du Sauveur sur la croix, dit l’ingénieux docteur Hibbert, et ses paroles terribles, ne proviennent vraisemblablement que d’un mélange de souvenirs qui avaient leur source dans quelque appel puissant à la pénitence que le colonel avait lu ou entendu ; nous ne saurions toutefois expliquer comment de telles idées peuvent produire une espèce de réalité. Cette vision eut certainement des conséquences importantes en religion, la conversion d’un pêcheur. Et aucun simple récit n’est plus capable de confirmer dans l’opinion que ces terribles apparitions ne viennent que de Dieu. » Le docteur Hibbert ajoute dans une note : « Peu avant cette vision, le colonel Gardiner avait fait une violente chute de cheval. Son cerveau ne pouvait-il pas être assez dérangé par cet accident pour lui faire voir une chose imaginaire ? » (Hibbert’s philosophy of apparitions, Édimbourg, 1824, page 190.) a. m.