Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/255

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guère que de la folie dans ces croisades que les prêtres ont prêchées avec tant de succès. Voilà près de trois ans que le connétable est absent, et on ignore encore s’il est vivant ou mort, victorieux ou vaincu. Il est parti d’ici comme s’il avait eu l’intention de ne pas détourner la bride ni de regaîner l’épée avant d’avoir regagné le saint sépulcre ; cependant nous n’apprenons pas avec certitude qu’on ait prit seulement un hameau aux Sarrasins. Pendant ce temps, le peuple devient mécontent ; les seigneurs, avec la meilleure partie de leurs vassaux, sont en Palestine, morts ou vivants, nous ne le savons pas ; ces malheureux sujets sont opprimés et dépouillés par des intendants et des députés dont le joug est plus lourd et moins légèrement porté que celui du seigneur même. Les communes, qui naturellement détestent les chevaliers et la noblesse, pensent que le moment est propice pour se révolter contre eux… Oui, et il y a bien des nobles qui ne craindront pas de se mettre à leur tête, pourvu qu’ils aient part aux dépouilles ; car les expéditions lointaines et la prodigalité les ont appauvris ; et celui qui est pauvre assassinerait son père pour de l’argent. Je hais les pauvres, et je voudrais voir au diable tout homme qui ne peut se suffire par le travail de ses mains. »

Le Flamand termina par cette imprécation caractéristique un discours qui fit connaître à Rose l’état effrayant de l’Angleterre, qu’elle ignorait, renfermée comme elle l’était dans Garde-Douloureuse. « Certes, dit-elle, ces violences dont vous parlez ne sont pas à redouter pour ceux qui vivent sous la bannière de de Lacy et de Berenger ?

— Berenger n’existe que de nom, reprit Wilkin Flammock, et Damien, quoique un brave jeune homme, n’a pas l’ascendant et l’autorité du caractère de son oncle. Ses soldats se plaignent qu’ils sont harassés de veiller à la protection d’un château qui est par lui-même imprenable, et qu’une bonne garnison défend, et qu’ils perdent l’occasion de faire des entreprises honorables, ainsi qu’ils les appellent, c’est-à-dire, de se battre et de piller. Ils disent que Damien, sans barbe, était un homme ; mais que Damien avec la moustache ne vaut guère mieux qu’une femme ; et que l’âge, qui a bruni sa lèvre supérieure, a en même temps fait pâlir son courage. Et ils disent bien autre chose qu’il serait ennuyeux de répéter.

— Au nom du ciel, apprenez-moi ce qu’on dit, s’écria Rose, si, comme il est probable, cela concerne ma chère maîtresse.