Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/227

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ticulièrement attachées depuis des siècles. Il lui semblait qu’elle devenait le prix pour lequel la bonne sainte et l’esprit vindicatif devaient jouer leur dernier et plus fort enjeu.

Absorbée par ces pensées, n’étant point distraite par des plaisirs intéressants, elle devint pensive, ensevelie dans des contemplations qui l’empêchaient d’écouter l’entretien de ceux qui l’entouraient, et errait dans un monde de réalité comme si elle rêvait. Quand elle pensait à son engagement avec le connétable de Chester, c’était avec résignation, mais sans former un seul souhait, et presque sans croire qu’elle serait obligée de le remplir. Elle avait accompli son vœu en acceptant la foi de son libérateur en échange de la sienne ; quoiqu’elle se sentît la volonté de terminer cet engagement, et même qu’elle eût peine à s’avouer la répugnance avec laquelle elle y pensait, néanmoins il est certain qu’elle conservait un secret espoir que Notre-Dame de Garde-Douloureuse ne serait pas un créancier sévère ; mais que, satisfaite de l’empressement qu’elle avait montrée accomplir son vœu, elle n’insisterait pas pour qu’elle la remplît dans toute sa rigueur. C’eût été la plus noire ingratitude de souhaiter que son brave libérateur, pour lequel elle avait tant de raison de prier, éprouvât aucune de ces fatalités qui, dans la terre sainte, changeaient si souvent les lauriers en cyprès ; mais d’autres accidents pouvaient arriver : alors les hommes dont l’absence avait été si longue étaient obligés de modifier les intentions qu’ils avaient eues en quittant leurs foyers.

Un ménestrel errant, qui avait été admis dans Garde-Douloureuse, avait récité, pour l’amusement de la dame et de sa maison, le célèbre lai du comte de Gleichen, qui, déjà marié dans son pays, eut tant d’obligations dans l’Orient à une princesse des Sarrasins, qui lui fit obtenir sa liberté, qu’il l’épousa aussi. Le pape et son conclave voulurent bien approuver le double mariage dans un cas si extraordinaire ; et le bon comte de Gleichen partagea son lit nuptial entre deux femmes d’un même rang, et repose maintenant avec elles sous la même pierre.

Les commentaires des habitants du château sur cette légende étaient variés. Le père Aldrovand la considérait comme fausse, et comme une calomnie indigne faite au chef de l’Église, lorsque l’on assurait que Sa Sainteté avait autorisé une irrégularité semblable. La vieille Marguerite, avec toute la tendresse d’une ancienne nourrice, pleurait de pitié pendant l’histoire, et fut bien