Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/203

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son côté, Hugo de Lacy, qui jusqu’alors avait été un amant peu passionné, croyait, en la voyant, que toutes les exagérations romanesques s’étaient réalisées dans elle, et que sa maîtresse fut un être d’une sphère plus élevée, de qui il devait recevoir le bonheur on le malheur, la vie ou la mort.

Ce fut sous l’influence d’un pareil sentiment que le guerrier mit un genou en terre devant Éveline, prit sa main, qu’elle lui abandonna plutôt qu’elle ne la donna, la pressa avec ardeur contre ses lèvres, et avant de s’en séparer la mouilla de quelques larmes, les premières qu’on lui eût jamais vu répandre. Mais, quoique surpris et entraîné hors de son caractère par un sentiment subit, il reprit son maintien calme en observant que l’abbesse regardait son humiliation, si on peut l’appeler ainsi, avec un air de triomphe ; et il se défendit devant Éveline avec une fermeté mâle qui n’était pas dépourvue d’affection, ni exempte d’agitation ; cependant son ton d’assurance et d’orgueil semblait combattre celui de l’abbesse offensée.

« Milady, » dit-il en s’adressant à Éveline, « vous avez appris par la vénérable abbesse dans quelle malheureuse position je me trouve placé depuis hier par la rigueur de l’archevêque ; peut-être devrais-je dire par son interprétation juste mais sévère de mon engagement pour la croisade. Je ne puis douter que tout ceci n’ait été rapporté avec la plus exacte vérité par la vénérable dame ; mais comme je ne puis plus l’appeler mon amie, permettez que je m’assure si elle m’a rendu justice dans le récit qu’elle vous a fait sur ma malheureuse obligation de quitter mon pays, et en même temps d’abandonner ou au moins de reculer les plus belles espérances que l’homme puisse jamais avoir. La vénérable dame m’a reproché qu’ayant moi-même causé le retard de l’exécution du contrat d’hier, je voudrais le tenir suspendu sur votre tête pour un nombre indéfini d’années. Nul ne résigne volontairement des droits semblables à ceux qui m’ont été donnés ; et permettez-moi de dire que, plutôt que de les céder à aucun homme né d’une femme, je voudrais combattre tous venants, avec l’épée tranchante ou la lance aiguë, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, pendant trois jours. Mais ce que je conserverais au prix de mille vies, j’y renoncerai volontiers s’il doit vous en coûter un seul soupir. Si donc vous pensez ne pouvoir être heureuse comme fiancée de de Lacy, ordonnez, et je coopère à faire annuler le contrat, et à rendre heureux quelque mortel plus fortuné. »