Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Apprends donc, dit Éveline, que c’est un spectre représentant ordinairement l’image d’une personne morte qui, soit à cause d’un outrage commis sur elle pendant sa vie, soit parce qu’il se trouve quelque trésor caché, soit pour quelque autre motif, fréquente le même lieu de temps en temps, devient familier à ceux qui l’habitent, s’intéresse à leur sort, quelquefois pour leur bien, quelquefois pour leur malheur. Ainsi donc, le Barh-Gheist est parfois regardé comme le bon génie, parfois comme le démon vengeur attaché à des familles ou à des classes d’hommes particulières. Le sort de la famille de Baldringham (qui d’ailleurs ne jouit point d’un rang médiocre), est d’être sujette aux visites d’un être de ce genre.

— Puis-je demander la cause de ces visites (si toutefois elle est connue) ? » dit Rose, désirant profiter autant que possible de l’humeur communicative de la jeune châtelaine, qui pouvait fort bien n’être pas de longue durée.

« Je n’en connais la légende que très-imparfaitement, » dit Éveline, continuant avec un calme qui était le résultat de l’effort violent qu’elle avait fait pour vaincre son agitation ; » mais en général voici comment on la raconte : Baldrick, héros saxon, qui fut le premier possesseur de cette habitation, devint amoureux d’une belle Bretonne, qu’on disait descendue de ces druides dont les Gallois parlent tant, et qui avait la réputation de n’être pas étrangère aux arts magiques qu’ils mettaient en pratique lorsqu’ils offraient des sacrifices de victimes humaines au milieu de ces enceintes d’immenses pierres brutes, ou plutôt de fragments de roc vif dont tu as sans doute vu un grand nombre. Après plus de deux ans de mariage, Baldrick se dégoûta de sa femme au point de former la résolution cruelle de la faire mourir. Les uns disent qu’il soupçonnait sa fidélité, les autres que ce meurtre lui fut imposé par l’Église, qui la regardait comme coupable d’hérésie. Il y eut des gens qui prétendirent qu’il se débarrassa d’elle pour se procurer la liberté de contracter un mariage plus avantageux ; mais, quelle qu’en fût la cause, chacun s’accorde sur le résultat. Il envoya deux de ses cnithts, ou soldats, dans la maison de Baldringham, pour tuer l’infortunée Vanda, et leur ordonna de lui rapporter la bague qui n’avait pas quitté son doigt depuis le jour de leur mariage, en signe de l’accomplissement de ses ordres. Ces hommes obéirent avec la plus grande barbarie ; ils étranglèrent Vanda dans la chambre où j’ai