Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/154

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pas le besoin de déjeuner le matin… Rose, mes gens en finissent-ils enfin ? sont-ils rassemblés dans la cour, ou encore étendus sur leurs lits pour se dédommager d’avoir vu leur repos troublé cette nuit ? »

Rose lui annonça que sa suite était dans la cour et prête à partir. Alors faisant une profonde révérence, Éveline s’avança vers la porte, ce qu’elle ne pouvait faire sans passer devant sa parente. Ermengarde lui lança un regard furieux qui semblait indiquer que son âme était possédée d’une rage que le sang glacé et les traits éteints de l’extrême vieillesse ne pouvaient exprimer : elle leva même sa baguette d’ébène comme si elle eût voulu la frapper ; mais elle changea de dessein, et fit subitement place à Éveline qui passa sans dire un mot de plus. En descendant l’escalier qui conduit à la porte d’entrée, elle entendit la voix de sa tante qui, semblable à une vieille sibylle en fureur, appelait sur sa tête malheur et vengeance en châtiment de son insolence et de sa présomption.

« L’orgueil, s’écria-t-elle, va au-devant de sa ruine, et un esprit hautain annonce toujours une chute prochaine… Que celle qui méprise la maison de ses ancêtres prenne garde qu’une pierre ne se détache de ses murs pour l’écraser… celle qui se moque des cheveux blancs d’une parente ne verra jamais les siens argentés par l’âge… celle qui s’allie à un homme de guerre et de sang n’aura pas une fin paisible et calme. »

Se pressant pour échapper à ces prédictions sinistres, Éveline s’élança hors de la maison, monta sur son palefroi avec la précipitation d’une fugitive, et, entourée de ses gens alarmés, quoique sans en connaître la cause, elle se hâta d’entrer dans la forêt. Le vieux Raoul, qui connaissait parfaitement le pays, lui servait de guide.

Plus agitée qu’elle ne voulait se l’avouer en quittant l’habitation d’une proche parente, chargée de malédictions au lieu de bénédictions qu’elle en aurait dû recevoir, Éveline pressa sa marche jusqu’à ce que les grands chênes qui bordent la forêt lui eussent dérobé, par leurs larges branches, la vue de la fatale maison.

Le bruit du galop d’une troupe de cavalerie qu’on entendit bientôt annonça l’arrivée des soldats que le connétable avait laissés pour garder la maison, et qui, s’étant réunis de leurs différents postes, venaient rejoindre lady Éveline pour l’escorter sur la route de Gloucester, dont une grande partie traversait la forêt de