Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/140

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lement offrir la consonance qu’il demandait. Il s’y trouvait aussi toute l’obscurité qui peut naître de l’ellipse et des épithètes les plus extravagantes et les plus hyperboliques.

Éveline, quoique versée dans la langue saxonne, cessa bientôt d’écouter le chanteur pour penser aux gais fabliaux et aux lais pleins d’imagination des ménestrels normands, et pour se livrer ensuite avec inquiétude à des conjectures sur ce qui l’attendait dans la chambre mystérieuse où elle était destinée à passer la nuit.

L’heure de se séparer approchait enfin ; à onze heures et demie, heure indiquée par la consommation de la longue torche de cire, la boule tomba avec bruit dans le bassin de fer qui était dessous, et annonça à tout le monde l’instant du repos. Le vieux ménestrel s’arrêta subitement au milieu d’une strophe de sa chanson ; et tous les domestiques de la maison s’étant levés à ce signal, quelques-uns se retirèrent dans leurs chambres, d’autres allumèrent des torches ou prirent des lampes pour conduire les voyageuses où elles devaient coucher. Parmi les dernières étaient des femmes chargées d’accompagner lady Éveline jusqu’à la chambre où elle allait passer la nuit. Sa tante prit congé d’elle d’un ton solennel, fit le signe de la croix sur son front, la baisa, et lui dit à l’oreille : « Du courage, et sois heureuse ! »

— Ma demoiselle de compagnie, Rose Flammock, ou ma femme de chambre, dame Gillian, femme du vieux Raoul, ne peut-elle pas passer la nuit avec moi dans mon appartement ? demanda Éveline.

— Flammock, Raoul ! » répéta Ermengarde d’un ton mécontent : « est-ce ainsi que ta maison est composée ? Les Flamands sont la paralysie de la Grande-Bretagne, et les Normands, la fièvre chaude.

— Et les pauvres Gallois ajouteront, » dit Rose dont le ressentiment commençait à l’emporter sur le respect et la crainte que lui inspirait la vieille dame, « que les Anglo-Saxons en furent la maladie originelle, et ressemblèrent à une peste dévorante.

— Tu es trop hardie, mignonne, » dit Ermengarde jetant un regard pénétrant sur Rose, « et cependant tes paroles sont sensées. Saxons, Danois, Flamands, sont les vagues de la mer qui se chassent les unes les autres. Il n’a manqué à chacun que la sagesse de conserver ce que la force avait conquis. Quand en sera-t-il autrement ?