Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/132

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et d’une race rare et précieuse, paissaient dans les riches pâturages des environs, et de temps à autre des daims ou des cerfs, qui paraissaient avoir perdu leur timidité naturelle, traversaient en bondissant les clairières du bois, ou se rassemblaient en petits groupes sous un grand chêne. La sensation de plaisir que cette scène champêtre et paisible inspirait, fit bientôt place à des réflexions plus sérieuses, quand un détour du sentier plaça tout à coup Éveline vis-à-vis de cette habitation qui avait disparu à ses yeux depuis le moment où elle l’avait aperçue pour la première fois avec le connétable, et que pour plus d’un motif elle regardait avec crainte.

La maison (car on ne pouvait pas lui donner le nom de château) n’avait que deux étages construits d’une manière massive, avec des portes et des fenêtres cintrées dans ce genre lourd appelé saxon. Les murs étaient tapissés de diverses plantes grimpantes qui s’y étaient étendues tout à leur aise. L’herbe croissait jusque sur le seuil de la porte, où se trouvait une corne de buffle attachée par une chaîne de cuivre. Une porte massive en chêne noirci formait une entrée qui ressemblait à celle d’un sépulcre ruiné ; et pas une âme ne parut pour recevoir Éveline et la complimenter sur son arrivée.

« Si j’étais à votre place, milady Éveline, dit l’officieuse dame Gillian, je retournerais la bride de mon cheval ; car ce vieux donjon ne semble devoir offrir ni asile ni nourriture à un chrétien. »

Éveline imposa silence à l’indiscrète femme de chambre, quoiqu’elle échangeât avec Rose un regard qui trahissait quelque inquiétude ; puis elle commanda à Raoul de sonner du cor. « On m’a prévenue, dit-elle, que ma tante est si attachée aux anciens usages, qu’elle a de la répugnance à en admettre de plus nouveaux que ceux du règne d’Édouard le Confesseur. »

Raoul, maudissant l’instrument grossier dont, malgré tout son talent, il n’y avait pas moyen de tirer un son régulier, fit entendre un éclat rauque et discordant qui ébranla les vieux murs, malgré leur épaisseur, et il fut obligé de répéter trois fois cet appel avant de pouvoir entrer. À la troisième fois la porte s’ouvrit, et une troupe nombreuse de domestiques des deux sexes parut dans le sombre et étroit vestibule, au bout duquel un grand feu s’élevait en tourbillons de flammes, dans une cheminée dont le devant, aussi large que celui d’une de nos cuisines modernes, était orné de sculptures en pierre, et dont le chambranle était