Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 27, 1838.djvu/72

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les siens ont été conduits au combat et avec qui ils ont partagé la joie de la victoire, le chagrin de la défaite.

À bien considérer la chose, les Normands n’étaient, ni par la naissance, ni par les mœurs, susceptibles des émotions qui constituent le patriotisme. Ils avaient pour aïeux ces Scandinaves qui sans regret quittèrent leur pays natal pour aller à la recherche de séjours meilleurs, et ouvrirent leurs voiles au vent, comme l’exilé volontaire des temps modernes, en se souciant peu d’être jetés sur telle ou telle côte, pourvu qu’ils ne fussent pas ramenés vers la leur. L’éducation des Normands du troisième siècle ne leur avait pas inculqué cet amour du sol natal, qu’ils n’avaient pu apprendre de leurs pères, vagabonds des siècles précédents. Ils étaient, plus que tout autre peuple, dévoués à la chevalerie, dont les règles et les habitudes ne favorisaient certes pas l’attachement local. Le comble de la perfection pour un chevalier errant était de courir sans cesse d’un pays dans un autre après les aventures, d’acquérir du renom, de gagner des comtés, des royaumes, même des empires, par l’épée, puis de s’établir sur les possessions ainsi acquises et d’y demeurer sans jamais songer à la terre où il avait reçu le jour. Cette indifférence pour son pays natal était enseignée à quiconque aspirait aux honneurs de la chevalerie, par la rupture nécessitée dès l’âge le plus tendre, des liens qui unissent le jeune homme à ses parents et à sa famille. Le soin de son éducation militaire l’arrachait encore enfant à la maison paternelle, et l’envoyant s’instruire des coutumes de la chevalerie à la cour de quelque prince ou seigneur étranger, détruisait de bonne heure ces nœuds sociaux qui attachent un individu à ses proches et au lieu qui l’a vu naître. Armé une fois chevalier, le brave gars trouvait un chez-lui dans chaque tournoi ou chaque champ de bataille, et son établissement dans le premier royaume venu où la valeur était le mieux récompensée. Le véritable chevalier errant était donc cosmopolite, citoyen du monde ; chaque sol était son pays, et il n’avait ni les sentiments ni les préjugés qui excitent chez d’autres personnes une patriotique affection pour un pays particulier.

Ce système, féodal aussi, quoique l’assertion puisse d’abord sembler bizarre, fut, jusqu’à ce que les fiefs devinssent héréditaires, défavorable à la fidélité et au patriotisme. Un vassal pouvait, ce qui arrivait souvent, posséder des fiefs dans plus d’un royaume : division de vasselage qui tendait à empêcher