Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/330

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serrures, des cadenas, des verrous et des barres. Et ils ne s’entendent pas mal non plus à forger des carcans, quoique ceux de Cunross aient l’avantage sur eux ; ma mère a eu autrefois un beau carcan de Cunross, et j’avais bien envie d’en avoir un joli petit pour mon pauvre enfant qui est mort. Dieu sait comment ! mais il faut que nous en venions tous là, Jeanie. Vous autres caméroniens savez bien cela, et c’est pour cela que vous vous faites un enfer de ce monde, afin d’avoir moins de regret de le quitter. Mais revenons à Bedlam dont nous parlions tout à l’heure ; je ne vous le recommanderai pas beaucoup, ni d’un côté ni de l’autre ; mais vous savez ce que dit la chanson :

Je n’avais pas vingt ans, j’étais à mon aurore,
Quand je vis à Bedlam[1] la corde en bracelet
Serrer étroitement mon débile poignet,
Et de coups on me régalait,
Comme aussi d’abstinence, et d’oremus encore.


Eh bien ! Jeanie, je suis un peu enrouée ce soir, je crois que je ne chanterai pas beaucoup, et puis il me semble que je vais dormir. »

Elle pencha sa tête sur son sein comme pour s’endormir, et Jeanie, qui aurait donné tout au monde pour avoir une occasion de réfléchir sur les moyens et la probabilité qu’elle avait de se sauver, eut grand soin de ne pas la déranger dans cette posture ; mais après une ou deux minutes d’assoupissement, les yeux à demi fermés, cette inquiète agitation qui faisait une partie de la maladie de Madge vint de nouveau l’assaillir. Elle releva la tête et parla, mais d’un ton bas, se laissant graduellement aller au sommeil que la fatigue d’un voyage à cheval rendait plus pressant ce jour-là qu’à l’ordinaire. « Je ne sais pas, disait-elle, pourquoi j’ai tant envie de dormir aujourd’hui ; je ne dors presque jamais que la bonne lune ne soit couchée, surtout quand elle est dans son plein comme vous le savez, et qu’elle se montre à nous dans son grand char d’argent, et quelquefois j’ai été moi-même danser de joie devant elle ; souvent aussi les morts sont venus danser avec moi, tels que Porteous par exemple, ou d’autres que j’ai connus quand je vivais autrefois, car vous saurez que j’ai été morte aussi, moi. » Ici la pauvre insensée chanta à voix basse :

Mes os sont enfermés dans un vieux cimetière,
Bien loin d’ici, par-delà l’onde amère ;
Ce n’est que mon ombre à présent
Qui vous parle naïvement.

  1. Maison des aliénés à Londres. a. m.