Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/322

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derechef dans le pot d’étain aussi largement que la première fois.

Les voyageurs qui ont traversé Newark depuis peu ne peuvent manquer de se rappeler le bon ton et la politesse remarquables de la personne qui y tient maintenant la principale auberge, et trouveraient peut-être quelque plaisir à les mettre en contraste avec la brusquerie de son grossier prédécesseur. Mais nous ne croyons pas que nul se soit aperçu que le poli ait rien ôté au métal de sa valeur.

Jeanie, après avoir pris congé de son hôte du Lincolnshire, continua sa route solitaire, et se sentit un peu alarmée quand elle se vit atteinte par la nuit dans la plaine qui s’étend au pied de la montagne de Gunnersbury, et qui est coupée de marécages et de bouquets de bois taillis. La vaste étendue de prés communs, qu’on trouvait sur la route du nord, et qui sont maintenant enclos en grande partie, et le relâchement de la police, exposaient alors le voyageur à un brigandage de grand chemin dont on n’entend plus parler maintenant que dans le voisinage immédiat de la capitale. Avertie de cet état de choses, Jeanie avait doublé le pas, quand elle entendit derrière elle le bruit du trot d’un cheval : elle se rangea machinalement d’un côté de la route, comme pour laisser au cavalier autant de place que possible. Lorsque le cheval l’eut rejointe, elle vit qu’il portait deux femmes. L’une assise sur une selle de côté, l’autre en croupe derrière elle, comme cela se voit encore quelquefois en Angleterre.

« Une bonne nuit je vous souhaite, Jeanie Deans, » dit celle des, deux femmes qui était en selle. « Que pensez-vous de cette belle montagne là-bas qui élève sa tête vers la lune ? Croyez-vous que ce soit là la porte du ciel que vous désirez tant ? Il se peut que nous y arrivions ce soir, si Dieu nous aide, quoique notre mère ait un peu de peine à la gravir. «

En parlant ainsi, elle s’était retournée sur sa selle, ralentissant le pas du cheval par suite de ce mouvement, tandis que la femme qui était en croupe derrière elle semblait la presser d’avancer par des paroles que Jeanie n’entendit qu’imparfaitement.

« Taisez-vous, chienne de lunatique ! qu’avez-vous affaire avec le ciel et l’enfer ? — Ma foi, ma mère, pas grand’chose avec le ciel, considérant qui je mène derrière moi ; et quant à l’enfer, nous y arriverons bien quelque jour, n’ayez pas peur. Allons, Nao, trotte, mon garçon ; va comme si tu étais un manche à balai, car tu portes une sorcière.