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lui procura l’occasion de monter en croupe sur un cheval de poste qui retournait à Tuxford, de manière que le lendemain de son départ d’York elle accomplit le plus long trajet qu’elle eût encore fait. Elle se trouva un peu fatiguée d’une façon de voyager à laquelle elle était moins habituée qu’à la marche, et il était beaucoup plus tard, le lendemain matin, quand elle se sentit en état de reprendre son pèlerinage. À midi, elle se trouva devant le Trent[1] et les ruines noircies du château de Newark, démoli dans les guerres civiles. On concevra facilement que Jeanie ne fût nullement curieuse d’aller visiter ces anciens débris, mais qu’en entrant dans la ville elle alla tout droit à l’auberge qu’on lui avait enseignée à Ferry-Bridge. Pendant qu’elle prenait quelques rafraîchissements, elle remarqua que la servante qui les lui avait apportés la regardait avec un intérêt marqué, et à la fin, à sa grande surprise, lui demanda si son nom n’était pas Deans, si elle n’était pas Écossaise, et si elle n’allait pas à Londres au sujet d’une affaire de justice. Jeanie, avec toute sa simplicité de caractère, ne manquait pas de prudence, et, suivant la coutume ordinaire d’un Écossais, elle répondit à cette question par une autre, en priant cette fille de lui dire pourquoi elle l’interrogeait ainsi.

La maritorne de la Tête-de-Sarrasin, à Newark, répondit : « Deux femmes se sont arrêtées ce matin ici, et se sont informées d’une nommée Jeanie Deans qui va à Londres pour une affaire de ce genre, et elles pouvaient à peine croire qu’elle n’eût pas déjà passé par ici. »

Fort surprise et un peu alarmée, car ce qui nous paraît inexplicable nous alarme toujours, Jeanie questionna la servante sur la tournure de ces deux femmes. Mais tout ce qu’elle en apprit, c’est que l’une était âgée et l’autre jeune ; que cette dernière était la plus grande ; que la première parlait davantage et semblait prendre un ton d’autorité sur sa compagne, et que toutes deux avaient l’accent écossais.

Ceci ne lui donnait aucune lumière ; et, éprouvant un pressentiment indéfinissable que l’on formait contre elle quelque mauvais dessein, Jeanie se décida à prendre un cheval et un guide pour la poste suivante. Mais elle ne put accomplir ce projet. Quelques circonstances accidentelles avaient occasionné un emploi beaucoup

plus considérable qu’à l’ordinaire de postillons et de chevaux, et

  1. The hundred armed Trent, le Trent aux cent bras, dit le texte, par allusion aux nombreux ruisseaux qui se jettent dans cette rivière du nord de l’Angleterre. a. m.