Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/173

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dans le Voyage du Pèlerin[1], quand elle traverse d’un pas timide, mais avec une courageuse résolution, la vallée de l’Ombre de la Mort, malgré toutes ses terreurs, Jeanie se glissant le long de chaque rocher, tantôt guidée par le clair de lune, tantôt dans une profonde obscurité, suivant que le sentier qu’elle traversait était enseveli dans l’ombre ou recevait les rayons de la lumière argentée, essayait de combattre les suggestions de la peur en fixant sa pensée sur la triste situation de sa sœur infortunée, et plus fréquemment encore en implorant intérieurement, par ses prières, la protection de cet Être tout puissant pour lequel il n’existe pas de ténèbres.

C’est ainsi que tout en se distrayant alternativement de ses craintes par la pensée de l’objet qui avait pour elle un intérêt si puissant, ou en les combattant par la confiance qu’elle mettait dans la protection divine, Jeanie arriva enfin au lieu qui lui avait été assigné pour ce mystérieux rendez-vous.

L’endroit désigné était le fond de la vallée située entre les rochers de Salisbury et la partie nord-ouest de la montagne appelée le siège d’Arthur, sur le revers de laquelle on voit encore les ruines d’une ancienne chapelle ou ermitage dédié à saint Antoine l’ermite. Jamais aucun bâtiment de ce genre n’avait pu être mieux placé ; car cette chapelle entourée de rochers inaccessibles et sauvages au milieu d’un désert, n’en était pas moins dans le voisinage immédiat d’une capitale riche, bruyante et populeuse, dont le bourdonnement frappant les oreilles des solitaires au milieu de leurs oraisons, n’offrait à ces hommes retirés du monde d’autre intérêt que celui qu’ils pouvaient trouver dans le sourd mugissement du lointain Océan. Au bas de la pente rapide où sont situées les ruines, on montrait alors et peut-être on montre encore aujourd’hui l’endroit où le misérable Nicole Muschat, dont on a déjà parlé dans cette histoire, avait achevé le cours de ses longues cruautés envers sa femme en l’assassinant avec des circonstances qui indiquent un horrible raffinement de barbarie. L’horreur qu’inspirait le crime de cet homme s’était étendue sur le lieu où il avait été commis. On l’avait marqué par une espèce de butte, ou tas de pierres, composé de toutes celles que les passants y avaient jetées en témoignage de leur exécration, circonstance

  1. Pilgrin’s Progress, ouvrage allégorique-religieux de Bunyan, très estimé en Angleterre. a. m.