Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/124

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des craintes qui pouvaient n’avoir d’autre cause que sa propre imagination. De plus, son respect pour le vieillard ne l’empêchait pas de s’apercevoir qu’il était d’un esprit irritable et absolu ; et souvent elle pensa que sa haine contre les amusements de la jeunesse dépassait les bornes imposées par la religion et la raison. Elle comprenait bien que, priver tout à coup sa sœur de la liberté illimitée dont elle avait joui jusque là, produirait plus de mal que de bien, et qu’Effie, dans l’effervescence et l’opiniâtreté de la jeunesse, pourrait trouver dans les préceptes outrés de son père une excuse pour les enfreindre tous. Dans les conditions élevées, une demoiselle, quelque légère qu’elle soit, est toujours retenue par les règles de l’étiquette, et soumise à la surveillance de sa mère ou de sa conductrice ; mais les filles de campagne, qui saisissent un moment de gaieté dans les intervalles du travail, n’ont personne pour les surveiller, ni rien pour les retenir, et ces amusements n’en deviennent que plus dangereux. Jeanie sentait cela avec chagrin, quand une circonstance parut devoir la délivrer de ses inquiétudes.

Mistress Saddletree, avec qui nos lecteurs ont déjà fait connaissance, était parente éloignée de Douce Davie Deans : et comme c’était une femme d’une vie réglée et douée d’un bon cœur, une sorte de liaison avait toujours existé entre les deux familles. Cette digne femme, un an et demi environ avant l’époque où commence notre histoire, eut besoin d’une fille de boutique. Elle dit un jour à Deans que M. Saddletree n’était jamais chez lui quand il pouvait mettre le nez dans les cours de justice, que c’était une chose fort embarrassante pour une femme d’être toujours au milieu des paquets de cuir, vendant des selles et des brides, et qu’elle avait pensé à son arrière-cousine Effie, qui lui conviendrait parfaitement pour l’aider dans son commerce.

Cette proposition plut beaucoup à Davie. Sa fille serait logée, nourrie, recevrait des gages : c’était une position convenable. Elle serait sous la surveillance de mistress Saddletree, qui marchait dans la bonne voie, et qui demeurait tout près de l’église de la prison, où l’on pouvait entendre les profitables enseignements d’un ministre qui, comme le disait Davie, n’avait pas fléchi le genou devant Baal, c’est-à-dire, qui n’avait pas adhéré aux hérésies du temps, à l’Union, à la tolérance, au patronage, et autres serments érastiens exigés du clergé depuis la révolution, et surtout sous le règne de « la dernière femme » (comme il appelait la reine