Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/109

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tion et qu’il fût peu habile à démêler ses propres sentiments, le laird de Dumbiedikes, avec son vieux chapeau galonné et sa pipe vide, venait régulièrement payer à Jeanie Deans le tribut de son admiration, laissant s’écouler les jours, les semaines, les années, sans rien dire qui justifiât les prophéties de la belle-mère.

Cette bonne femme commença à perdre patience, quand, après quelques années de mariage, elle eut donné à Douce Davie une autre fille qu’on nomma Euphémie, et par abréviation Effie. Le mécontentement que lui causait la lenteur du laird à faire l’aveu de son amour fut au comble, car elle calculait avec raison que comme lady Dumbiedikes aurait peu besoin de dot, Deans pourrait laisser tous ses biens à l’enfant né de son second mariage. D’autres belles-mères ont employé des moyens moins louables pour assurer des successions à leurs enfants ; mais Rebecca, pour lui rendre justice, ne cherchait l’avantage de la petite Effie que dans ce qu’on devait généralement considérer comme l’élévation de sa sœur aînée. Elle mit donc en usage toutes ses ruses féminines pour amener le laird à se prononcer ; mais elle eut la mortification de voir que ses efforts, comme ceux d’un pêcheur inhabile, ne tendaient qu’à effaroucher le poisson qu’elle voulait prendre. Dans une occasion surtout, ayant plaisanté avec le laird sur l’utilité d’avoir une maîtresse de maison, il prit tellement la mouche que ni le chapeau galonné, ni la pipe, ni l’intelligent propriétaire de ces objets, ne reparurent de quinze jours à Woodend. Rebecca fut donc forcée de laisser le laird marcher à pas de tortue, convaincue par sa propre expérience de la vérité du proverbe du fossoyeur : « Qu’on ne fait pas avancer un âne rétif en le battant. »

Cependant Reuben continuait ses études à l’université, et fournissait à ses besoins en enseignant aux plus jeunes écoliers ce qu’il avait appris lui-même, ce qui avait en même temps l’avantage de fixer dans son esprit l’instruction qu’il avait déjà acquise. Cette ressource, qu’emploient tous les pauvres étudiants en théologie des universités d’Écosse, le mettait aussi à même d’envoyer quelques secours à sa pauvre aïeule, devoir sacré que les Écossais négligent rarement de remplir. Il fit des progrès rapides ; mais sa modestie empêchait qu’ils ne fussent remarqués ; et si Butler eût été homme à se plaindre, il eût pu, comme tant d’autres, accuser les préférences, le sort et les préventions ordinaires ; mais, soit modestie, soit orgueil, soit l’une et l’autre à la fois, il garda toujours le silence sur ce sujet.