Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/102

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ayez de l’humanité… Quoi qu’il arrive, conservez Beersheba. N’exigez de ces pauvres gens qu’une modique redevance ; laissez-leur le pain et la soupe ; votre père en sera peut-être mieux là où il va, mon fils. »

Après ces instructions contradictoires, le laird se sentit le cœur tellement soulagé, qu’il avala de suite trois verres d’eau-de-vie, et perdit vent, comme disait Jenny, en essayant de fredonner la chanson : Que le diable emporte le ministre !

Sa mort opéra un changement complet en faveur des malheureuses familles. John Dumbie, de droit laird de Dumbiedikes, avait bien sa part de cupidité et d’égoïsme ; mais il n’avait pas l’esprit de rapine ni l’âme intéressée de son père, et son tuteur se trouva d’accord avec lui pour exécuter les volontés du défunt. On ne chassa donc point les malheureux fermiers, par la neige qui tombait ; on leur donna même de quoi se procurer du fromage et du pain d’avoine, qu’ils mangèrent sous le poids de la malédiction prononcée contre la postérité d’Ève. La chaumière des Deans, appelée Woodend, n’était pas très-éloignée de celle de Beersheba. Il y avait eu d’abord peu de relations entre les deux familles. Deans était un Écossais farouche, rempli de préjugés contre les hommes du Sud et contre tout ce que produisait le Sud. De plus, Deans était, comme nous l’avons dit, un véritable presbytérien, attaché avec la conviction la plus inébranlable aux opinions qui lui semblaient être le seul chemin bon et possible à suivre, pour nous servir de son expression, entre les ultra-zélés à droite et les défectionnaires à gauche : aussi avait-il une haine et une horreur profondes pour tous les indépendants aussi bien que pour tous ceux qu’il supposait leurs alliés.

Cependant, malgré ses préjugés nationaux et son zèle religieux. Deans et la veuve Butler se trouvaient dans une situation qui devait naturellement amener quelque intimité entre les deux familles. Elles avaient partagé le même danger et la même délivrance : il fallait qu’elles s’aidassent mutuellement, comme des voyageurs qui traversent un torrent rapide sont forcés de se soutenir les uns les autres, de peur que le courant n’entraîne ceux d’entre eux qui s’isoleraient.

Quand Deans connut mieux sa voisine, il renonça en partie à ses préjugés : il trouva que la vieille mistress Butler, si elle n’était pas bien affermie contre les défections du temps, n’adoptait du moins aucune des opinions des indépendants ; de plus, elle n’é-