Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/384

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en ce moment. Vu le risque que l’on court à prêter l’oreille à une conspiration, tu devrais songer que c’est un grand bonheur, tout bien examiné, d’y échapper, la vie et la réputation sauves. Tel a été le cas d’Achille Tatius et du césar. De plus, ils ont conservé leurs hauts emplois, qui leur donnent confiance et pouvoir, et ils doivent compter que l’empereur ne se hasardera guère à les en dépouiller par la suite, puisque la connaissance de leurs crimes ne l’a point enhardi à le faire. La puissance qu’on leur laisse ainsi nous appartient de fait, et aucune circonstance ne peut les forcer à dénoncer leurs complices au gouvernement. Il est beaucoup plus probable qu’ils se souviendront d’eux avec l’espoir de recommencer en temps convenable, et de renouveler l’alliance qui les unit ensemble. Persiste donc dans ta noble résolution, mon prince du cirque, et songe que tu conserveras encore cette influence prédominante que les favoris de l’amphithéâtre sont sûrs de posséder sur les citoyens de Constantinople. — Je ne sais pourquoi, reprit Stéphanos, mais une chose me ronge le cœur comme le ver qui ne meurt pas : c’est de voir ce mendiant étranger trahir le plus noble sang du pays, pour ne pas parler du meilleur athlète de la palestre, et se retirer non seulement sans être puni de sa trahison, mais avec des éloges, des honneurs et de l’avancement. — En effet, cela n’est pas juste ; mais observe, mon ami, qu’il se retire fort à propos. Il abandonne le pays et quitte le corps où il aurait pu prétendre à de l’avancement et à quelques vains honneurs, qu’on estime au prix de semblables bagatelles. Sous deux ou trois jours, Hereward ne vaudra guère mieux qu’un soldat licencié, vivant du pauvre pain qu’il pourra gagner à la suite de ce comte mendiant, ou que plutôt il lui faudra disputer aux infidèles en opposant sa hache d’armes aux sabres turcs. À quoi lui servira en Palestine, au milieu des massacres et de la famine, d’avoir été admis une fois à souper avec l’empereur ? Nous connaissons Alexis Comnène, il se plaît à remplir les obligations qu’il a envers des gens comme cet Hereward, quelques sacrifices qu’elles lui imposent ; et je m’imagine déjà voir le rusé despote lever les épaules de dérision, quand un matin il recevra la nouvelle d’une bataille perdue en Palestine par les croisés, et dans laquelle son ancienne connaissance aura péri. Je ne t’insulterai pas en te disant combien il serait aisé d’obtenir la faveur de la suivante d’une dame de qualité ; et je ne pense pas qu’il serait difficile, si l’envie en venait à un athlète, d’acquérir la propriété d’un grand babouin comme Sylvain, qui mettrait à même de s’établir